Les grandes aires géo-culturelles européennes






Musiques traditionnelles d’Europe

Musique sacrée et musique classique côtoient les nombreuses traditions musicales populaires des différentes régions. Beaucoup de musique de danses sociales. Ensembles instrumentaux, ensemble vocaux, chansons populaires. Prédominance des instruments à cordes (guitare, mandoline, violon, etc.) et des vents (cornemuse, accordéon, clarinette, flûte). Aussi, musique des diasporas d'Afrique, du Maghreb, d'Asie, d'Amérique latine, etc.

EUROPE DE L'EST et EX-URSS

Coexistence d'une grande variété de traditions conservées malgré les conflits au fil de l'histoire. Nombreuses traditions locales liées à l'identité des groupes socio­ culturels. Importance de la voix (harmonies vocales, ensembles vocaux). Complexité rythmique et virtuosité dans les musiques de danse. Ensembles instrumentaux pour festivités (mariages, etc.). Tentatives de folklor­isation dans certaines régions.

SCANDINAVIE

Richesse des voix et importance du violon dans la musique traditionnelle de plusieurs régions.
Ornements caractéristiques à chaque région. Danses dont les valses, polkas et mazurkas. Aujourd'hui, les jeunes musiciens Scandinaves explorent leurs racines et réinventent leurs traditions.

MUSIQUE CELTIQUE

Héritage partagé entre Irlande, Écosse, Bretagne, Espagne (Asturies et Galicie), aussi Portugal, Belgique, Pays-Bas, États-Unis, Canada. Rythmes et mélodies caractérisés par la vitalité. Virtuosité des instru­mentistes. Sujets des paroles ancrés dans l'histoire.
Enchaînements de chansons et de pièces instrumentales. Musique de danse et de fête (par ex. : ceilidhs en Écosse), reels, ballades.

MUSIQUE TSIGANE

Musique variant considérablement d'un endroit à l'autre. Ensembles instrumentaux ou chant accompagné. Musiques de danse. Musique festive, rapide et virtuose (p. ex. : fanfares). Grande expressivité dans les chants. Des millions de Tsiganes ou Roms - originaires du Rajasthan - vivent principalement en Europe de l'Est, mais aussi en France, Russie, Turquie, Grèce, Espagne et même Égypte.


Les zones géographiques européennes




LA ZONE MÉDITERRANÉENNE

Géographiquement, elle se compose de trois péninsules (Espagne-Portugal, Italie, Grèce), du sud de la France (régions de la langue d’oc), d’îles espagnoles, françaises, italiennes et grecques, mais aussi de régions plus orientales (ex.‑Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie ainsi que les trois républiques transcaucasiennes, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan).

La prééminence du rôle de la mer Méditerranée sur l’Histoire de cette aire géo-culturelle est, comme nous l’avons vu, incontestable. Ses îles et ses rives ont vu naître, dès le IIIe millénaire av. J.-C., de grands foyers de civilisation avancée qui ont subi, à diverses époques et sous des formes différentes, les influences culturelle, artistique et scientifique du monde turco-arabe, héritages qui transparaissent encore fortement aujourd’hui.

Concernant les pratiques artistiques et musicales, un certain nombre de caractéristiques se dégagent :
  • langage chromatique,
  • rythme asymétrique “aksak” ou “rythme boiteux” que l’on retrouve, par exemple, dans plusieurs types de danses acrobatiques pratiquées par les hommes (Grèce, Albanie, ex; Yougoslavie...),
  • présence de "hauts instruments" à vent, de type zurna (hautbois), de flûtes obliques à embouchure terminale (ney turc ou kaval bulgare) et d’instruments à cordes (famille des luths issus de l’oud arabe : lira ou bouzouki grecs, guzla de la côte dalmate...),
  • l’utilisation du couple tambour + flûte, tambour + hautbois,
  • les danses sous forme de rondes ouvertes ou fermées (kolo, ballu sardufarandoles, sardanes...).


Cependant, bien d'autres caractéristiques apparaissent surtout dans les genres et techniques du chant :
  • la polyphonie : elle n’est certes pas l’apanage des Méditerranéens mais elle revêt cependant des formes typiques (chants strophiques ouverts par une voix principale en solo, les voix se regroupant en un unisson final) ou des formes extrêmement particulières : tuilage des chants alternés de Corse et du Portugal, chants polyphoniques de type harmonique à structure verticale (Portugal, Corse, Sardaigne...), usage de la voix de fausset (falsetto en ltalie) qui s’élève et brode des arabesques à la fin des strophes et exprime la note finale à l’octave supérieure...
  • le chant orné mélismatique qui rayonne d’une extrémité à l’autre de cette zone et dont les saetas andalouses sont les exemples les plus frappants.
  • l’usage encore présent de mélodies heptatoniques, de structures tétracordales, prolongement direct des modes grecs,
  • le giusto syllabique (mélodie au mouvement modéré et régulier).
  • la psalmodie
  • les étonnantes capacités d’improvisations des chanteurs
Quelques particularismes notables :
  • Quelques aspects de la musique hongroise (ex. : cymbalum),
  • Le chant du Pays-Basque,
  • Le chant yodle “bei-bei” d’ltalie,
  • Présence d’une population isolée albanaise en Italie
  • Le langage sifflé des Basques des Canaries et des Turcs.
  • L’influence très forte de la musique tzigane



LA ZONE OCCIDENTALE

L’ouverture sur l’Océan Atlantique, les influences climatiques maritimes ainsi que le peuplement d’origine anglo-saxone et celtique ont déterminé les traits physiques et les critères spécifiques des contrées de cette zone (les finis terræ de notre continent). (remarque : située à l’angle nord-ouest de la péninsule Ibérique, la Galice, restée elle-aussi en marge de la romanisation, des invasions des Wisigoths et de la conquête arabe, a conservé de ses origines celtiques un ensemble de traditions particulières.

Présence celte : la vingtaine de tribus celtes (Pictes, Scots, Bretons...) installée dans les Îles Britanniques subit, vers ‐ 55 av. J.-C., les tentatives d’occupation des troupes romaines de César. La véritable conquête jusqu’à la Clyde (Écosse) n’est assurée que par l’empereur Claude, au premier siècle ap. J.-C. Érigée en province romaine (jusqu’en 406-407), la Bretagne (Grande-Bretagne actuelle) n’est
que très modérément romanisée. Les régions écartées d’Écosse, d’Irlande et du Pays de Galles conservent leur langue et leurs traditions celtes.
Au Vè siècle, les peuplades germaniques (Angles, Saxons, Frisons et Jutes) s’installent dans le sud et au centre de l’île ; la population locale romano-celtique se germanise et une langue neuve, l’anglo-saxon s’épanouit.
Face à cette invasion, les Bretons émigrent en masse, tout au long du VIe siècle, vers les rivages de l’Armorique, se groupant en colonies indépendantes (c’est à cette époque qu’est utilisé le terme de Bretagne). Pendant longtemps les Francs tentent avec beaucoup de difficulté d’assujettir ces Bretons. Plus tard, avec l’invasion de l’île de Bretagne par les Vikings (850), quelques éléments de la langue scandinave s’ajoutent à l’anglo-saxon. En 1066, les Normands s’emparent du pays, chassent les dignitaires saxons et les remplacent par des conseillers normands. Le français, imposé par Guillaume le Conquérant, devient alors la langue officielle jusqu’au XIVe siècle (l’anglais toujours utilisé sera déformé par ce bilinguisme et conservera l’empreinte de cette occupation).

Langue celtique : elle comprend une branche brittonique, le breton, le gallois et le comique (Cornouailles Anglaises) ainsi qu’une branche gaélique ‐goïdélique‐ (gaélique d’Écosse ou erse, gaélique d’lrlande et gaélique de l’île de Man), en règle générale plus homogène que les dialectes brittoniques.

Religion et mythologie celtique :
« L’unité de la civilisation celte se révèle tout particulièrement dans le domaine religieux. Les Celtes britanniques de Gaule, de Grande-Bretagne et de la vallée du Danube ont des dieux communs, portant le même nom : Lug, le grand dieu solaire, éponyme dans Lugdunum, mais aussi présent en Espagne; Taranis, le dieu de la foudre, représenté en lrlande par un héros, Toma; Esus, dieu gaulois, est aussi présent en lrlande. Dans tout l’espace celtique, les sacrifices animaux ou humains sont pratiqués. En Irlande cependant, les mentions de sacrifices humains sont plus rares. Les Celtes ont une mythologie très riche, bien conservée chez les Gaëls et les Gallois. Elle nous est transmise par des récits épiques présentés sous forme de cycles; ainsi le cycle d’Arthur au pays de Gal/es. La mythologie celtique est “héroïque”. De leurs dieux, les Celtes font des héros... ».
(L’Europe de la Préhistoire à nos jours, Horwat).


Quelques caractéristiques de la musique traditionnelle :
  • une couche ancestrale pentatonique,
  •  un sentiment diatonique prononcé surtout dans la couche récente de la
  • musique instrumentale,
  • musique vocale chantée en solo avec intervention d’un chœur,
  • prédominance du genre épique (ballades, romances) strophique,
  • musiques et chants liés aux activités quotidiennes, en particulier chants utilisés par les marins (shanties anglais),
  • présence d’une musique d’intérieur avec utilisation d’instruments aux sonorités douces (harpes, violons, flûtes traversières...) et d’une musique d’extérieur avec instruments aux sonorités perçantes (cornemuses, bombardes...).


LA ZONE CENTRALE

On inclut généralement dans cette aire l’Allemagne, les régions de l’est de la France (l’Alsace, les Vosges, le Jura, les Alpes), la Suisse, l’Autriche, l’ex.‑Tchécoslovaquie (République tchèque, Slovaquie), la Pologne (1). La Hongrie et la Roumanie s’insèrent dans la zone méditerranéenne.
Noyau central de l’Europe, cette zone a représenté ‐ et représente encore ‐ la plaque tournante des communications terrestres et le lieu de rencontre des grands courants culturels et idéologiques : « C’est ici que le christianisme a gagné le nord et le nord-est, que la civilisation occidentale a trouvé la voie du Danube. Les troubadours de Provence, le génie commercial de Florence et de Venise, l’esprit de Paris, l’humanisme, la Renaissance ont trouvé ici un écho. et ont été transmis plus loin... » (2).
Sur le plan politique pourtant, l’homogénéité est loin d’être atteinte malgré la récente chute du mur de Berlin et la volonté d’ouverture vers l’Occident de certains états autrefois dits de l’Est. L’Histoire n’a guère épargné les différents groupes ethniques et les populations qui s’y côtoient ; elle a conduit à la création d’États dont l’autonomie et les tracés des frontières ont été maintes fois remis en cause, renforçant certains sentiments patriotiques et traditionalistes.
Sur le plan climatique, cette zone centrale se situe entre les climats méditerranéen, continental, océanique et arctique. Seules les régions de hautes montagnes présentent des caractéristiques spécifiques.

1. La Pologne, peuplée par les slaves dès le Ve-VIe siècle, a souffert tout au long de son histoire des
attaques, des annexions, des invasions opérées par ses voisins : trois partages de la Pologne eurent
lieu jusqu’à sa disparition en 1755; en 1918, elle ressuscite pour redisparaître en 1939; en 1945, le
pays est “déplacé” de 300 km vers l’ouest (frontière Oder-Neisse).

2. P.H. SCHMIDT, 1945 in Europa Æterna, Éditions Max S. METZ ZURlCH.


Quelques caractéristiques de la musique traditionnelle :
  • La Réforme luthérienne a, dès le XVIe siècle, imposé aux pays germaniques la pratique du chant choral, de l’harmonie et des rythmes de la musique savante, faisant disparaître l’ancien fonds traditionnel.
  • Les populations des régions montagneuses ont développé une pratique instrumentale et une technique vocale particulière : yodel, cloches, cors ou trompes des Alpes.
Remarque : le yodel ne peut être considéré comme une pratique spécifique de ces régions montagneuses puisqu’on le trouve également en Géorgie, en Afrique... et aux îles Salomon.

  • Au fur et à mesure que l’on s’éloigne des influences du monde méditerranéen (encore sensibles dans certaines musiques tziganes) les timbres de voix se feutrent, la sonorité des instruments s’adoucit (les archets deviennent dominants par rapport aux anches), les chants deviennent syllabiques et strophiques, les mélismes mélodiques moins fréquents, le langage mélodique diatonique (utilisation fréquente de l’échelle heptatonique) et les rythmes de danses très homogènes (ländler, valses, polkas) principalement ternaires (cependant les exceptions exis tent; ainsi en Pologne, on peut trouver des rythmes asymétriques ou en Slovaquie des rythmes binaires). Le chant polyphonique est présent mais essentiellement fondé sur les principes harmoniques de la musique occidentale savante.
  • Présence d’un groupe ethnique particulier : les Juifs d’Europe centrale.
  • Forte influence de la musique tzigane.

LA ZONE SEPTENTRIONALE

Elle comprend la Scandinavie (Suède, Norvège, Finlande, Danemark), les Pays baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie) et l’Islande.
Uniquement rattachée à la masse continentale de l’Europe orientale par la presqu’île de Kola et à celle de l’Europe centrale par la presqu’île du Jutland, cette péninsule scandinave s’est trouvée historiquement épargnée de toute influence méditerranéenne antique (les troupes romaines ne se sont jamais aventurées dans ces contrées). Longtemps isolées, les populations ont maintenu vivaces leurs coutumes tribales et leurs traditions anciennes (saga et mythes nordiques). La civilisation ne s’est avancée que très lentement, par le Danemark et le sud de la Scandinavie, après la christianisation de ces régions.
Les conditions climatiques ont certainement joué un rôle fondamental dans l’expansion du peuplement qui s’est surtout développé le long des côtes océaniques protégées par les courants chauds du Gulf-Stream et sur les rives de la Mer Baltique. Le Danemark, la Suède, la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie s’ouvrent sur la mer Baltique permettant des échanges privilégiés et fructueux entre tous ces pays.

Particularismes :
  • les Lapons
  • l’lslande (musique médiévale)

Instruments particuliers, les cithares :
  • hardingfele (Norvège), violon à cordes sympathiques,
  • nickelharpa (Suède), violon à clavier,
  • kantele (Finlande), cithare sur caisse.

LA ZONE ORIENTALE

Elle est constituée essentiellement par la partie européenne de l’ex. U.R.S.S., la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie.
Au IXe siècle, les peuples Varègues (Scandinaves, Normands) traversent la mer Baltique, unifient les tribus locales d’agriculteurs slaves orientaux et fondent le 1er État Russe (selon la légende, sous l’impulsion de leur chef Rurik, Riurik ou Riourik, en 862). Aux XI° - XIIe siècles, la Russie se tourne vers le Proche-Orient : en adoptant le christianisme orthodoxe grec, elle entretient alors des relations privilégiées avec Byzance. Par la suite, les Tatars, puis les Mongols, maintiennent les habitants de ces contrées sous influence asiate, les privant ainsi de toute possibilité d’échange avec le monde occidental. Il faut attendre le règne de Pierre le Grand (1682-1725) pour que prenne naissance l’idée d’appartenance au continent européen. Cependant, si la Cour et les nobles se tournent volontairement vers la culture occidentale, l’âme du peuple reste profondément slave et orientale.
Les conditions climatiques déterminent des zones de végétation différente générant des modes de vie appropriés. Ainsi, la toundra, glaciale et désertique qui s’étend au-delà du cercle polaire en bordure de la mer de Barents n’est peuplée que par quelques tribus nomades de Samoyèdes vivant de l’élevage des rennes.
Au fur et à mesure que l’on descend vers le sud, la taïga (forêt de conifères) est progressivement remplacée par la forêt mixte (chênes, bouleaux, ormes et tilleuls), cultivée et entretenue. Encore plus au sud, la forêt cède la place à la steppe qui devient herbeuse sur les bords de la mer Noire, là où les précipitations estivales ne sont plus assez importantes pour permettre aux arbres de pousser.
La presqu’île de Crimée possède, quant à elle, un climat méditerranéen d’une grande douceur hivernale.

Quelques aspects de la musique traditionnelle :
  • Sentiment modal dans la mélodie et dans les harmonies,
  • Présence (plus ou moins nette ou sporadique) de la gamme à cinq degrés,
  • Structures strophiques bien articulées,
  • Musique instrumentale ornée (influence directe des tziganes).


La polyphonie vocale



La pratique du chant à plusieurs voix dans la musique populaire se retrouve un peu partout en Europe mais, dans certaines régions, elle est une pratique rare ou exceptionnelle alors que, dans d’autres, elle constitue un élément caractéristique.

La pratique du chant à plusieurs voix s’est fortement développée dans le Caucase et revêt des formes qui ont laissé supposer – mais le débat reste ouvert – une origine caucasienne à l’organum médiéval et, par conséquent, à la polyphonie savante européenne. Son rôle est important dans la zone slave et, de façon tout à fait générale, dans toute l’Europe orientale, à l’exclusion des peuples finno-ougriens. La polyphonie est largement présente dans les territoires de langue allemande ; il faudrait étudier, évidemment, l’influence possible de la pratique du chant d’église protestant, et le problème posé par l’absence de conséquences similaires en Grande-Bretagne. Elle est aussi fortement développée dans le nord de l’Italie.

Dans les autres régions d’Europe, la polyphonie est entièrement inconnue et limitée à des occasions particulières.

Dans une Méditerranée aussi profondément monodique, la Corse et la Sardaigne font figure d’exceptions car la pratique polyphonique y a atteint des degrés de développement extraordinaires.

Chez les peuples européens, les modèles de pratique polyphonique sont variés. Les formes de déchant, probablement plus archaïques, apparaissent dans des régions assez éloignées les unes des autres, allant du Caucase à l’Adriatique, aussi bien dans la partie italienne que sur le littoral de l’ex-Yougoslavie, ce qui a permis d’imaginer l’existence d’une Europe antique au territoire plus étendu dont seuls quelques îlots subsisteraient. L’origine du modèle des chants à plusieurs voix, de type a trallallero, est probablement archaïque, car les productions musicales traditionnelles actuelles se retrouvent, avec leurs caractères spécifiques, dans des régions qui ne sont pas contiguës, comme la Sardaigne, l’Italie centrale, l’Italie du Nord et quelques régions slaves et caucasiennes.

La polyphonie ad accordo sicilienne est certainement ancienne elle aussi.

En revanche, la polyphonie en tierce est l’expression d’une sensibilité relativement moderne et se pratique à travers un territoire étendu qui va de l’Italie du Nord à l’Ukraine en passant par la Slovénie et les pays de langue allemande. On peut cependant formuler l’hypothèse que ce type de polyphonie s’est développé sur une pratique polyphonique antérieure à la fois populaire et savante. Des traces assez importantes de polyphonie avec intervalles de quarte, retrouvées dans la région des Alpes italiennes, tendraient à démontrer l’existence de structures antérieures à l’implantation massive de structures en tierce.


Les instruments



La musique populaire européenne utilise des instruments fort nombreux, dont l’origine est diverse et qui attestent, par leur présence, la complexité de notre monde populaire et l’importance des dominations politiques et culturelles qu’il a connues. La civilisation industrielle a apporté sa contribution à la variété des instruments de musique de tradition orale européenne en introduisant les divers accordéons, principalement diatoniques, et l’harmonica. En général, ces instruments, entrés dans la pratique populaire à la fin du XIXe siècle, ont été utilisés pour remplacer d’autres instruments traditionnels d’un usage plus difficile et d’un entretien plus compliqué, les cornemuses, en premier lieu. Dans de nombreuses régions, ces instruments récents ont trouvé une application musicale originale et différente des pratiques savantes en cours.
Par ailleurs, dans la période qui a précédé la création de ces nouveaux instruments «industriels», la pratique musicale savante ordinaire a également enrichi les instruments de musique populaire. Ainsi, le violon appartient à la musique populaire européenne, et trouve des applications stylistiques propres à la tradition dans laquelle il s’est inséré. Dans toutes les couches populaires d’Europe, on joue du violon de la même façon. Rares sont aujourd’hui les violoneux qui tiennent leur instrument en position verticale, appuyé sur la cuisse comme dans la musique arabe; tous conservent la position «basse» semblable à celle qui était utilisée à l’époque baroque.
Certains instruments largement répandus dans la musique populaire européenne remontent à une époque archaïque. En premier lieu, les flûtes droites, aussi bien à conduit qu’à ouverture libre. Alors que la présence des premières, en roseau, en bois, en os, en métal est attestée dans pratiquement tous les pays d’Europe, et qu’elles sont encore utilisées dans de nombreuses régions, les autres se rencontrent aujourd’hui dans un territoire plus restreint situé entre la Hongrie et la Macédoine.
Des sources anciennes révèlent également l’existence de plusieurs types d’instruments de percussion. Le tambour est encore utilisé aujourd’hui en Espagne, en Italie centrale et méridionale et dans les Balkans; il conserve des significations magiques, même si celles-ci sont désormais perçues de façon indirecte. Les tambours à deux peaux ne sont probablement pas très anciens. Toutefois, leur présence est souvent liée à des cérémonies rituelles archaïques.
Le couple flûte-tambour, joué par un seul musicien, constitue un phénomène intéressant dans la pratique musicale instrumentale du folklore européen. Il se retrouve en Espagne, dans le sud de la France et, récemment encore, en Sardaigne.
Dans l’ethno-organologie européenne, la cornemuse constitue, avec les diverses cithares et la vielle, une survivance de la musique à bourdon. Un moment présentes dans tous les pays d’Europe, les cornemuses de types variés sont aujourd’hui encore jouées dans de multiples régions. Dans le sud de l’Italie et en Sicile, on trouve un modèle particulier de cornemuse dont tous les tuyaux sont insérés dans un bloc frontal. Les cornemuses italiennes comprennent toujours deux tuyaux pour la mélodie et un nombre de bourdons variant de un à trois, exceptionnellement quatre. Les cornemuses de Dalmatie, de Grèce, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient possèdent également le double tuyau pour la mélodie mais sont dépourvues de bourdons indépendants. La petite cornemuse des Landes, réutilisée dans le folk revival, représente une émergence curieuse d’un type de cornemuse originaire de Méditerranée orientale. Des cornemuses à un seul tuyau pour le chant et plusieurs bourdons sont utilisées dans le nord du Portugal, en Galice et en Navarre (gaita), en Bretagne (biniou), en Irlande (union pipe), en Écosse (Highland bagpipe), dans le centre de la France (avec des modèles assez élaborés : chabreta, cabrette). On trouve des cornemuses de divers types en Pologne, dans la République tchèque, en Slovaquie, en Hongrie, dans l’ex-U.R.S.S., en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce, alors que les pays Baltes, la Suède et la Catalogne connaissent des vestiges d’instruments en voie d’extinction. Au nord de l’Italie la cornemuse a disparu.
La vielle, un certain temps très utilisée, n’a pas non plus disparu, même si son utilisation est liée, notamment en France, non pas tant à une fonction précise qu’à l’intérêt suscité par le revival. En revanche, la vielle est encore présente en Hongrie, bien qu’elle ait connu une situation de crise.
Un des instruments populaires européens, unique en son genre, mérite une mention particulière : il s’agit du launeddas de la Sardaigne méridionale. C’est une clarinette triple, en roseau, avec deux tuyaux pourvus de trous et un tuyau sans trou, le bourdon, que l’on joue en utilisant la technique du souffle continu. En Sardaigne, on peut encore trouver des joueurs de cet instrument qui s’apparente aux clarinettes doubles dont la présence est si fortement attestée dans le passé méditerranéen.


Formes et genres

Il est très difficile de faire une synthèse sur les formes et les genres d’une tradition musicale aussi riche par sa diversité et aussi fortement «stratifiée» que la tradition musicale européenne. En effet, dans son ensemble, la musique européenne de tradition orale révèle la coexistence de formes dont certaines sont d’origine très ancienne et d’autres qui ont subi les influences déterminantes récentes ou modernes. Les formes les plus anciennes se retrouvent principalement dans les régions les plus conservatrices et présentent des caractères essentiellement modulaires qui rattachent cette partie du répertoire musical européen à celui d’autres continents. Cette forme modulaire concerne aussi bien les structures verbales que les structures musicales.
Vocales et instrumentales, les musiques utilisant ces formes sont attestées dans la région méditerranéenne et dans les régions orientales alors qu’elles figurent comme les derniers signes d’un passé presque entièrement révolu dans des pays où les processus de transformations socio-économiques sont depuis plus longtemps actifs et où, surtout, les conséquences de la révolution industrielle ont été plus profondes.
Distincte de la forme modulaire, la forme strophique semble plus récente. elle implique la versification des textes verbaux, sans rime dans le matériau plus ancien, et l’articulation thématique des textes musicaux. Il existe, naturellement, des formes intermédiaires dont la structure en strophes est imparfaite. Toutefois, on peut retenir qu’une très grande partie de la musique vocale européenne met en œuvre des groupes réguliers de vers. Les phrases musicales, quant à elles, tendent à s’organiser autour de thèmes explicites.
Cette base, cependant, si elle n’est pas archaïque, n’est pas pour autant moderne. En effet, la structure à strophes est déjà présente dans la culture européenne de l’époque médiévale. Elle s’est surtout développée dans les chants narratifs de diverses traditions qui se retrouvent dans toute l’Europe et constituent, dans leur quasi-totalité, un ensemble extraordinaire d’histoires chantées retraçant toute la vie populaire de notre continent jusqu’à nos jours. Il suffit de rappeler les recueils de ballades qui caractérisent une grande partie du territoire européen allant de la Catalogne à la Hongrie, de l’Italie du Nord à l’Écosse et à la Scandinavie, et qui se composent de textes d’inspiration magique, chevaleresque, familiale, historique, se prolongeant jusqu’aux créations contemporaines. Musicalement, la ballade européenne atteste la longue présence de ce genre dans la vie populaire en Europe, avec des musiques modales et pentatoniques et d’autres musiques qui s’inspirent franchement du XIXe siècle.
Les musiques vocales et instrumentales revêtent une importance particulière lorsqu’elles sont liées à des cérémonies rituelles. Dans ce cas, l’intérêt est non seulement musicologique mais aussi anthropologique car, souvent, il s’agit de cérémonies qui permettent une approche captivante, susceptible d’aboutir à l’identification de situations mythiques profondes. Le décalage est souvent très grand entre les cérémonies rituelles et leurs musiques d’accompagnement qui, dans de nombreux cas, ne sont pas anciennes. Même si cela est vrai, il n’en reste pas moins que de telles cérémonies sont souvent les plus propices à l’identification de modèles musicaux appartenant à un passé révolu.
La richesse, la complexité et le caractère si fortement empreint des influences multiples du patrimoine musical des cultures populaires de notre continent constituent, dans leurs contradictions même, un témoignage vivant de l’histoire si souvent bouleversée de nos pays.
Même si, de toute évidence, elle est de nos jours en crise, cette culture musicale, où se dessinent si bien les rapports existant entre classes populaires (exclues du pouvoir) et classes dirigeantes, est encore en mesure de manifester le rôle profond et essentiel en Europe de la pratique musicale intimement liée à la vie quotidienne.



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