Renaissance du chant corse



Il est en Corse, un chant désormais bien connu du public, c’est la paghjella qui sous le nom de “chant polyphonique à trois voix”, a franchi ses propres montagnes et peut être écouté aujourd’hui sur disque dans le monde entier.

C’est grâce en fait au travail de quelques ethnomusicologues comme Felix QUILICI et de groupes de chanteurs passionnés, qui furent désireux de transmettre à leur tour les traditions de leurs ancêtres, que l’on peut parler d’une certaine renaissance du chant corse (bien que non terminée !).

La paghjella, polyvocalité selon toute vraisemblance unique et propre à la Corse, fait aujourd’hui l’objet d’une mode sur l’île et ailleurs, qui fascine.
J’expliquerais en partie cette fascination par sa musicalité.

Musicalité et développement de ce type de chant

Le parcours mélodique de chaque voix apporte une sensation de liberté et d’homogénéité. Lorsqu’on l’entend pour la première fois, on sent d’abord qu’il se passe quelque chose d’étrange et on ne distingue pas chaque voix qui évolue.
Le chant, dans l’ensemble, s’élève puis redescend peu à peu, empruntant un chemin qui rappelle beaucoup les crêtes de nos montagnes, pour revenir à la note de départ.
C’est incontestablement une création continue à partir d’un genre traditionnel, une façon de chanter.
Selon les habitudes et les modèles de la tradition, les chanteurs improvisent aussi les ornements (ricuccate en langue corse), inflexions et accents en lançant la voix comme au lointain.

Description, analyse du chant paghjella

Après le départ donné par la voix de “seconda” (voix somme toute principale puisque c’est elle qui donne le “versu” ou mélodie-ligne-support particulière à chaque village), la basse entre en résonnance, puis la terza (3° voix) complète l’ensemble. Mais il n’y a pas de chemins parallèles, ni d’accords fixes. C’est le secret de ce genre de polyvocalités, transmises d’ailleurs tout simplement de père en fils, chaque personne, famille ou village en donnant une version distincte et à fort caractère.


Place sociale

Quasi totem de l’identité du jeune corse d’aujourd’hui, mise à l’avant-scène par l’ensemble du milieu culturel insulaire dès les années cinquante, la paghjella ne devrait pas cependant perdre de sa simplicité rustique et trop s’harmoniser (comme une œuvre chorale de type symphonique). Les nouvelles générations de chanteurs de paghjella ne doivent pas oublier l’importance de l’improvisation qui est comme l’origine de tous les autres chants.
En fait, malgré les mutations de la vie quotidienne et de la société, le besoin d’exprimer un sentiment (amour, déception, rancœur, joie festive, problèmes sociaux, ou émerveillement, etc.) demeure une des raisons essentielles de tout chant corse.

Autres formes chantées en Corse

Dans des joutes oratoires appelées chjam’è rispondi, les poètes improvisent sur un air traditionnel, chacun défend sa “thèse” sur un sujet donné. Le versu, comme pour la paghjella, couvre 16 pieds. On peut également transcrire la strophe chantée en 6 vers de 8 pieds, la rime arrivant sur les vers 2/4/6. Exemple, cette paghjella d’Olmi Cappella :

E paroll di l’amantisonu cum’è le stagione
Apparisce lu bel tempu dopu so’ timpesti è toni
A possu di’francamente, pochiso’ li ghjorni boni.

« Les mots des amants sont comme les saisons
D’abord apparaît le beau temps, puis ce sont les tempêtes et tonnerres
Mais pour nous, ma colombe, tous les jours sont bons ».


De nombreuses sérénades ont été transmises par la tradition orale, ainsi que des chants de tribbiera (ou dépiquage du blé sur l’aire), bien que ces usages et gestes ne soient plus d’actualité.

Les voceri étaient pratiquées autrefois devant la dépouille mortelle d’un villageois et chantées par des pleureuses. Il ne reste de cela que quelques rares enregistrements effectués hors situation des années plus tard.

Les fameux lamenti relatant la vie d’une personne décédée, des faits marquants de l’histoire locale, ou composés pour exprimer la peine de la perte d’un animal, sont plus connus, certains atteignant la quarantaine de strophes.

Les chants épiques sont plus rares, ou bien ont-ils disparu ?

Il nous faudra plus de recherches pour entendre des chants à danser, encore plus pour retrouver des pas de danses, bien que les airs ne manquent pas (nous en avons personnellement recensé environ 150). Il faut dire que cette part de la tradition a été très peu prise en compte par le mouvement revivaliste des années 70 à 90.
Espérons qu’ils feront partie d’une deuxième renaissance du chant corse dans les années à venir.


Personnages notoires de la tradition musicale corse

  • Le chantre : seul ou participant à une confrérie religieuse, connaît par cœur la messe des Vivants, celle des Morts, les litanies, les hymnes et chants de procession, quelquefois en s’aidant d’un livre pour les paroles.
  • Le poète-improvisateur a le don d’inventer sur le moment des réparties ; c’est un inspiré et, par ses poésies, il apporte humour et décontraction, dénouant même certaines situations délicates dans le village.
  • Le violoneux est l’un des instrumentistes le plus connu car son répertoire de danse et la sonorité de son instrument sont appréciés et demandés lors des bals, carnavals, sérénades.

Circonstances des chants et musiques traditionnelles

  • repas familiaux ou publics,
  • tonte des brebis, périodes d’alpages,
  • têtes de mariage, baptêmes,
  • têtes d’élections municipales ou cantonales,
  • processions et cérémonies religieuses,
  • cérémonies de deuil, d’obsèques,
  • travaux des champs, d’artisans.


par Bernardu PAZZONI

responsable de la Phonothèque du Musée de la Corse.
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