La musique du Cambodge et du Laos


La musique du Cambodge et du Laos constitue un système musical particulier et très riche, provenant d’un fonds autochtone mom-khmer, ainsi que d’influences indiennes classiques, malayo-indonésiennes, sino-thaï et chinoises. Il existe quatre systèmes musicaux nettement distincts, représentés par l’orchestre à percussion, l’orchestre à cordes populaire, la musique de khène et le chant religieux. L’ouvrage analyse les causes de la dégénérescence de cette musique, due à l’influence des systèmes chinois et surtout européen, entraînant une paralysie dans le développement de l’improvisation et l’accord erroné des instruments sur des critères exogènes, ce qui conduit à une véritable désintégration culturelle. Les principaux modes musicaux sont transcrits, les descriptions d’instruments sont illustrées de schémas et de photographies. Une bibliographie est incluse.


 
SOMMAIRE
La musique du Cambodge et du Laos 
La gamme céleste 
Accord des instruments dans l’orchestre 
L’orchestre classique (Pi phat) 
L’orchestre Mohori (percussions et cordes) 
L’Orchestre à cordes 
Orchestre Populaire 
Orchestres de magiciens 
Accord des khènes 
Le chant religieux 
Composition des orchestres 
Orchestre Pi Phat 
Orchestre Mohori (orchestre hybride) 
L’orchestre à cordes (Orchestre khmer) 
L’orchestre populaire 
Notation musicale 
 
Composition 
Rôle rituel et magique de la musique 
Problèmes de la musique cambodgienne 
Les instruments à cordes 
Instruments à archet 
Les sô 
Instruments à cordes pincées 
La Harpe 
Les instruments à percussion mélodiques 
Le Khong 
Les cymbales 
Le Rang nat 
Le Rang nat thong 
Le Roneat dek 
Les instruments à vent 
Le Khouy 
Le Khène Laotien 
Les tambours  
Bibliographie 
 

L’Indochine, la péninsule malaise et l’Indonésie forment du point de vue de la musique une entité présentant des caractéristiques communes constituant un système musical original et particulier. Les emprunts et les influences mutuelles entre les îles et la péninsule malaise semblent avoir été constants au cours de l’histoire, de sorte qu’il est difficile d’attribuer une localisation précise à la formation de J art musical malais-indonésien-indochinois.
Une observation des formes musicales existant aujourd’hui aussi bien dans la musique savante que dans la musique populaire semble indiquer la probabilité de plusieurs sources principales qui se sont unies pour former l’art musical de l’Indochine comme de l’Indonésie ; 1. un fonds autochtone probablement des Môn khmer représenté surtout dans la musique populaire et présentant des affinités évidentes dans le style et la forme musicale, comme d’ailleurs dans les danses, avec celui des tribus primitives de l’Inde (Himalaya et Inde centrale), 2. un apport indien classique, 3. un apport malayo-indonésien, 4. un apport populaire sino-thaï, puis, 5. des influences classiques chinoises. Les différentes formes musicales révèlent à un degré varié ces divers éléments. Nous verrons qu’il existe de nos jours au Cambodge et au Laos quatre systèmes musicaux nettement distincts représentes par l’orchestre à percussion, l’orchestre à cordes populaire la musique de Khène et le chant religieux.
D’après George Groslier (Recherches sur les Cambodgiens Paris. 1921) « Le Souei Chou décrit l’organisation d’un Bureau de la musique durant la période de 581 à 600 où sont signalés des musiciens du Founan [le Cambodge méridional actuel J, avec quelque mépris d’ailleurs. Mention est faite de deux instruments, un petit orgue à bouche dont les tuyaux sont implantés dans une coupelle en forme de calebasse et une guitare à 5 ou 7 cordes. Les instruments étaient grossiers. On se borna à transcrire les paroles, [chantées] sur des airs de l’Inde. »
Une inscription royale à Sdok Kak Thom (neuvième siècle) mentionne « cent luths, des flûtes au son mélodieux, cinquante orchestres, des cymbales de cuivre, des tambours » (1)
La grande musique d’orchestre du Siam, du Cambodge et du Laos est, à part des différences extrêmement mineures, pratiquement identique. Le Siam semble avoir joué un rôle prépondérant dans sa préservation depuis quelques siècles, mais cela n’implique en rien que l’origine en soit Thai. Les plus anciens documents figurés, les reliefs d’Angkor, indiquent que la musique khmère du douzième siècle était semblable à la musique du Cambodge aujourd’hui.
Comme la musique javanaise, la musique classique du Cambodge, du Siam, du Laos est polyphonique. L’orchestre est composé de xylophones, de carillons de gongs, ou percussions mélodiques, et de tambours, cymbales et autres percussions rythmiques auxquels s’ajoutent parfois des instruments à archet, des hautbois et des flûtes.
La structure musicale est basée sur des instruments à sons fixes qui ne permettent pas d’ornements élaborés. Les instruments qui ont joué un rôle prépondérant dans la formation de ce système ont été probablement d’un côté les lithophones préhistoriques, auxquels ont succédés les jeux de gongs, mais surtout la harpe indienne qui a disparu aujourd’hui de l’Indochine comme de l’Inde et ne subsiste qu’en Birmanie où elle est en voie de disparition.


La gamme céleste

Dans l’Inde un profond changement eut lieu dans le système musical lorsque la harpe céda la place au luth. Il est donc difficile de déterminer avec certitude dans quelles proportions le système classique cambodgien, basé sur des instruments à sons fixes, s’apparente à un des anciens systèmes indiens ou représente une tradition indépendante. Certaines percussions mélodiques ont existé de tout temps dans l’Inde, et il semble fort probable que le système du Gândhâra-grâma (échelle à sept tons égaux), considéré déjà comme perdu par les auteurs sanscrits de l’époque classique, se réfère à une échelle mélodique qui ne se retrouve aujourd’hui qu’en Indochine et au Siam.
La musique ancienne de l’Inde connaissait trois gammes fondamentales appelées les trois grâma ou ‘groupes’ des notes.
Les deux premiers grâma, Sadja et Madhyama, correspondent aux deux formes du diatonique, connues des Grecs, le diatonique doux ou harmonique et le diatonique dur ou pythagoricien.
Le troisième grâma indien est d’une nature différente, étant composé de sept tons égaux. C’est, disait-on, la gamme céleste, c’est-à-dire la gamme sacrée.
 
Les trois grâma restèrent la base du système musical aussi longtemps que la harpe fut l’instrument de référence principal Les modes étaient en effet classés en tant que formes plagales du Sadja et du Madhyama-grâma. Ces formes plagales formèrent les diverses gammes-modales ou mûrcchanâ. Il fallait changer l’accord de la harpe pour obtenir le Gândhâra-grâma.
Le Gândhâra-grâma n’avait pas de modes plagaux distincts puisque tous ses intervalles étaient égaux. Si l’on plaçait la tonique sur une corde plutôt que sur une autre on obtenait seulement une différence de hauteur de son. Plusieurs auteurs toutefois, par besoin de symétrie, inventèrent des mûrcchanâ théoriques du Gândhâra-grâma, mais celles-ci ne furent jamais utilisées en pratique, et les auteurs ne se mirent même pas d’accord sur leurs noms.
Lorsque, vers le sixième siècle, le luth remplaça la harpe comme instrument principal, la classification par formes plagales perdit son sens et son utilité. Il ne s’agissait plus de prendre comme tonique l’une ou l’autre des cordes d’un instrument à sons fixes pour obtenir un mode, il suffisait d’altérer l’une ou l’autre des touches, par rapport à la tonique fixe, donnée par la corde ouverte. Ceci avait le grand avantage de conserver la même tonique pour tous les modes.
Les deux formes du diatonique restèrent en usage toutefois pendant quelques siècles. Elles pouvaient toujours être comprises, même si leur application n’était pas très pratique, et elles permettaient une classification facile des échelles modales.
L’heptaphone tempéré, par contre, ne survécut pas au changement. Comme tous les tempéraments, il est un développement logique des instruments à sons fixes. Il était impraticable sur des instruments à frettes.
Le Gândhara-grâma disparut donc entièrement sans trop qu’on comprenne comment. On déclara qu’il était retourné au paradis. Il survécut toutefois dans les régions qui conservèrent la harpe ou d’autres instruments à sons fixes. C’est pourquoi on le trouve encore aujourd’hui dans les pays de l’Est, la Birmanie, l’Indochine, et les îles de la Sonde.
La harpe était encore un instrument important à l’époque d’Angkor Vat et du Bayon (12e siècle2) où elle se rencontre avec son successeur qui ici n’est pas un luth mais un autre instrument à son fixe, le ‘jeu de gongs’ (khong vong) auquel s’ajoutera bientôt le xylophone, ces deux instruments prenant une place prédominante dans la musique khmère et étant jusqu’à nos jours les instruments de base de la musique Indo-malaise de Java au Laos.
Sur ces instruments l’heptaphone tempéré restait non seulement la gamme la plus suave mais aussi la plus commode puisqu’elle permettait de transposer immédiatement dans n’importe quel ton sans changer l’accord des instruments. Cette gamme est aujourd’hui encore la gamme traditionnelle des Siamois, et bien que son application soit souvent approximative dans les orchestres du Cambodge et du Laos, par suite de l’influence de la gamme européenne, encore plus que de la gamme chinoise, tous les musiciens qui ont conservé le sens de la musique traditionnelle accordent leurs instruments sur l’heptaphone tempéré ou s’en rapprochent d’assez près.
C’est ainsi que nous retrouvons en Indochine ce qui fut probablement l’un des systèmes de musique savante les plus anciens de l’Inde, la gamme céleste, le Gândhâra-grâma, que jouent les Gandharva qui accompagnent les danses des Apsaras, les nymphes du paradis.
En raison de l’influence chinoise, qui tend à faire dans beaucoup de mélodies des notes très accessoires du quatrième et du septième degrés, puis de l’influence européenne, qui tend à imposer le diatonique, une certaine confusion semble régner au Thaïlande comme en Indochine en ce qui concerne l’accord des instruments à sons fixes (xylophones et métallophones). C’est surtout sur le septième degré qui, dans l’heptaphone tempéré, est un intervalle indiscutablement mineur, que la différence est criante. L’intervalle entre les tons de l’heptaphone tempéré est en effet de 43 savarts ou 171 cents, c’est-à-dire un demi comma environ de moins que le ton mineur. (3)
Il n’y a rien qui doive nous surprendre dans l’observation facile à faire que les xylophones des orchestres royaux sont les plus diatonisés alors que les orchestres de province ou de village tendent à se rapprocher de la gamme heptatonique ancienne.
L’imprécision de l’accord a toutefois un effet dégradant sur le système musical. Il existe dans une gamme particulière une logique qui guide le développement de l’inspiration et de la structure musicale, et la tendance à se rapprocher de la gamme occidentale ou de la gamme chinoise conduit naturellement à l’abandon des formes mélodiques et de l’harmonie traditionnelles pour les remplacer par des mélodies et des accords ressemblant aux modèles européens ou chinois même si les instruments et la conception générale de la musique restent apparemment les mêmes.
Le fait que l’influence chinoise tende à faire préférer les mélodies pentatoniques majeures et que l’influence occidentale tende à altérer l’accord des instruments ne change pas en soi la nature du système ni ses conceptions polyphoniques et mélodiques de base, et marque seulement une dégénérescence qui paralyse l’inspiration musicale et tend à faire disparaître l’ascendant que le système exerce sur les auditeurs.
En écoutant les différents orchestres du Cambodge, du Laos, du Siam, on arrive très rapidement à en estimer la valeur dès l’abord d’après les particularités de l’accord.
Ceci s’applique toutefois surtout à la musique classique des orchestres à percussions car dans la musique vocale, et celle des orchestres à cordes et des orgues-à-bouche, on rencontre des gammes-de-base différentes et des ornements plus complexes.
Il ne m’a pas été possible d’étudier l’accord des séries de grands gongs qui servent aux fêtes rituelles des tribus du Nord du Laos et dont l’usage semble remonter à l’invention du gong (5e ou 6e siècle) et qui prirent la succession des lithophones antérieurs. Des jeux de grands gongs apparaissent dès le dixième siècle dans la sculpture d’Angkor.
Depuis la préhistoire, des lithophones géants en silex ont été un des éléments sacrés du rituel impérial dans toute l’Asie. Il en existait à la cour de Chine, mais aussi à la cour de Hué. Il ne semble pas impossible que le lithophone découvert en Indochine4 et aujourd’hui au musée de l’homme à Paris ait été originellement approximativement accordé sur la gamme heptatonale tempérée et représente l’ancêtre des jeux de gongs et des xylophones.5
Des lithophones de plus petite taille, formés de pierres taillées en équerres sur le modèle chinois, étaient assez nombreux autrefois. J. Grosset (Histoire de la musique p. 3125) dit en avoir vu vingt-quatre à Hué. Cet instrument s’appelait khanh-da (à rapprocher de ghana sanscrit).
L’empereur Thuan en 2225 av. J. C. faisait, dit-on, tressaillir d’aise les animaux en frappant sur le khanh-da.

 
NOTES

1 G. Coedès et P. Dupont, BEFEO, XLIII, 1943-46.

2 La dernière représentation connue de la harpe indienne est également du douzième siècle sur le temple de Sohagpur dans l’Etat de Rewa en Inde Centrale.

3 Si nous représentons en cents les différences des notes de l’heptaphone tempéré par rapport au diatonique de Zarlin nous obtenons :
Ut Ré-34 Mi-44 Fa+16 Sol-16 La-27 Si bémol+32 Ut.
Un comma étant égal à 20 cents environ nous voyons que, si nous représentons ces différences en commas nous obtenons la gamme :
Ut Ré-1 1/2 Mi-2 1/2 Fa+1 Sol-1 La-37 Si bémol+1 1/2 Ut.
Par rapport au dodéccaphone tempéré les différences en cent sont :
Ut Ré-29 Mi bémol+42 (ou Mi-57) Fa+14 Sol-14 Si bémol+28.

4 C. Condominas, BEFEO, Tome XLV.

5 Les lithophones comme les xylophones peuvent s’accorder en alourdissant les extrémités avec une pâte de bitume.




Accord des instruments dans l’orchestre

L’orchestre classique (Pi phat)

On ne rencontre pas dans l’orchestre à percussion (Pi phat ou Seb naï) de l’Indochine la variété de gammes des gamelangs javanais (les imprécisions éventuelles de l’accord ne semblent pas faire partie d’un système) mais on y trouve toutefois nettement différenciés des morceaux pentatoniques (slendro) de type indien et heptatoniques (pelog). La base reste toujours l’heptaphone, indiquant bien que l’influence de la mélodie pentatonique chinoise est un apport relativement récent. On rencontre aussi parfois dans la musique du grand orchestre des gammes pentatoniques mineures (1) d’origine indienne mais elles sont moins répandues et moins variées que dans la musique populaire et la musique de khène.

Nous avons noté l’accord des instruments dans un certain nombre d’orchestres classiques (Pi phat), comportant percussions, tambours et hautbois :



1. Harpe arrondie (Angkor, Bayon) 



2. Gong, Trompe et Tambours (Angkor, Bayon) 


(Bangkok) (heptaphone tempéré) 




Vientiane 


Phnom Penh 




Luang Prabang 




L’orchestre Mohori (percussions et cordes)

Les orchestres d’instruments à cordes suivent un système mélodique différent de celui des orchestres de percussions. Les deux orchestres ne jouent en conséquence généralement pas ensemble excepté pour des morceaux hybrides probablement d’origine récente.

L’orchestre hybride est appelé Mohori (Seb naï au Laos).

Dans l’orchestre Mohori (percussions et cordes) laotien nous avons noté les accords d’instruments suivants.



(heptaphone tempéré défectif) Luang Prabang 



Luang Prabang 


L’Orchestre à cordes

Dans les formes populaires de l’orchestre à cordes, appelé généralement l’orchestre khmer, nous retrouvons des formes musicales se rapprochant nettement de la musique des tribus munda de l’Inde Centrale et de l’Himalaya ainsi que des influences de la musique savante hindoue.

Les modes sont assez variés, représentant les principaux modes pentatoniques indiens ainsi que des gammes à tons très rapprochés sur une faible étendue, tels que :



Siem Reap
Note 12



Siem Reap 


Orchestre Populaire 



Phloeung Chhès Rotès 


Orchestres de magiciens


Invitation aux Génies (Province de Kandal) :




Pour chasser les démons (Siem Reap) : 

(Siem Reap) 

Dans les orchestres populaires les ornements sont nombreux et souvent complexes, utilisant de petits intervalles en dehors de la gamme principale, ainsi que des appoggiatures et des glissandos. L’improvisation rappelle souvent par sa facture la musique tzigane.

Comme dans la musique grecque et le Madhyama-grâma indien, la tonique est généralement au centre de l’octave modale.


Accord des khènes

La musique de khène au Laos représente un système essentiellement polyphonique. Les modes utilisés le plus souvent sont les diverses formes pentatoniques qui se retrouvent dans le système attribué à Shiva dans l’Inde d’où le terme slendro (Shilendra)3 donné par les javanais aux gammes pentatoniques.

Les plus usuelles des gammes de khène sont les suivantes :



La mélodie est basée sur une tonique modale mais les accords variés qui l’accompagnent constituent souvent de véritables modulations.

Ce système est probablement le plus ancien des systèmes harmoniques connus. Il s’apparente directement à la musique populaire du pays Kumaon (Almora) dans l’Himalaya indien où toutefois le khène est remplacé par la flûte double (représentée aussi à Angkor Vat).



3. Orchestre Pi phat (Siem Reap) 



4. Orchestre Pi phat (Palais de Phnom Penh) 



5. Khène (Vientiane) 


L’effet est très similaire et le système d’aspiration saccadée par le nez et d’utilisation des joues comme réservoir d’air pour obtenir un son continu est identique. En aucun cas la ressemblance apparente de la musique de khène avec certaines formes de la musique occidentale ne saurait venir d’une influence car la musique de khène est beaucoup plus ancienne.


Notes

1 Les anciennes gammes pentatoniques modales indiennes ont des intervalles et un caractère entièrement différents du pentatonique chinois obtenu par l’échelle des quintes.

2 T veut dire tonique. D note prédominante.

3 cf. J. Kunst, Music in Java.




Le chant religieux

Les chants religieux des « pandits » du Cambodge appartiennent à un système nettement différent de celui de la musique d’orchestre. Les gammes assez variées, qui aujourd’hui sont souvent à tendances pentatoniques, n’avaient probablement pas ce caractère autrefois.


Les ornements nombreux et complexes utilisant de petits intervalles sont visiblement de facture indienne et l’on peut considérer ces chants comme directement dérivés des bhajana indiens bien qu’ayant subi une influence chinoise superficielle qui les pentatonise.


Exemples (Phnom Penh :) 


Les psalmodies des moines du Cambodge soit en pâli soit en cambodgien sont encore très proches de la psalmodie védique la plus ancienne et se chantent sur trois notes, psalmodie caractéristique du Rig Veda (le Yajur Veda se chante sur cinq notes et le Sāma Veda sur sept). 

Phnom Penh 


Composition des orchestres

La composition des orchestres varie peu au Cambodge, au Siam et au Laos.

Orchestre Pi Phat

L’orchestre Pi phat est le grand orchestre à percussions qui sert pour la musique de cour, les cérémonies, l’accompagnement des représentations du Râmâyana et la danse. Il est appelé Pi phat parce que le sra lai (Pi siamois), ou hautbois, en est l’instrument caractéristique et dirigeant. L’orchestre Pi phat se compose au minimum de six instruments mais peut être amplifie jusqu’à en utiliser une vingtaine.

Les instruments essentiels sont :
  1. Le ta phon ou sam phor (tambour horizontal)
  2. Le pi nai ou sra lai (hautbois à anche)
  3. Le khong vong (carillon de gongs), khong thorm (carillon grave) et khong toch (carillon aigu)
  4. Le roneat ek (xylophone aigu en bambou) et le roneat thom (xylophone grave en bois dur)
  5. Le klong thad ou skor thom (doubles timbales)
  6. Le tching (cymbales), parfois remplacé par des baguettes de bois frappées l’une contre l’autre.

Dans le grand orchestre Pi phat on trouve aussi :
  1. tambours : Le song na ou poeng mang et les tambours malais (mâle et femelle)
  2. percussion mélodique : roneat thom toch (xylophone carré aigu) ; ioneat thom thom (xylophone grave) ; roneat thong (métallophone)
  3. percussion rythmique : cymbales (charb lek ; charb yai ; mông), gong houi (jeu de gongs)
  4. instruments à vent : khouy thom (flûte grave), khouy toch (flûte aiguë)

Au Laos, l’orchestre Pi phat est appelé Seb naï. Il n’accompagne jamais le chant et sert pour le cortège royal, les processions et les danses du Râmâyana.

Il comporte :
  1. deux rang nat (xylophones)
  2. deux khong vong (carillons de gongs)
  3. deux gros tambours (kong tat)
  4. un tambourin
  5. un hautbois (pi)

Orchestre Mohori (orchestre hybride)

L’orchestre Mohori est hybride comprenant des xylophones et des instruments à cordes et à vent.

Les musiciens de l’orchestre Mohori, que l’on appelle parfois orchestre de concert, étaient autrefois au Cambodge les femmes du palais, qui ont été aujourd’hui remplacées par des musiciens hommes.

Au palais de Phnom Penh il a la composition suivante :
  • Roneat ek (xylophone)
  • Roneat thorn toch (xylophone aigu)
  • Roneat thom thom („ grave)
  • Ta khé (grande guitare sur pieds)
  • Tro u (violon)
  • Tro ek (violon)
  • Tcha pei (guitare courbe)
  • Khloy thom (flûte grave)
  • Khloy toch (flûte aiguë)
  • Pei thom (hautbois grave)
  • Tching (cymbales)

Au Laos l’orchestre Mohori est appelé Seb noï, les musiciens sont des hommes. Il sert à accompagner les chants (chœurs ou soli) et pour le prélude et le final des œuvres vocales. C’est cet orchestre qui joue les œuvres modernes.

Il comporte :
  • Khong vong (carillon de gongs)
  • Rang nat (xylophone)
  • Plusieurs so (violons)
  • Plusieurs khène (orgues à bouche)
  • Tambours.
  • On y ajoute aujourd’hui parfois des violons européens et des accordéons.


L’orchestre à cordes (Orchestre khmer)

L’orchestre à cordes est le plus répandu au Cambodge. Il en existe dans la plupart des villages. Il sert pour accompagner le chant et aussi pour les rites magiques : inviter les esprits, chasser les démons, fêtes de mariage, etc.
Cet orchestre est généralement désigné comme l’orchestre khmer.
Sa composition habituelle est la suivante :
  1. Pei toch (hautbois)
  2. So do (monocorde)
  3. Tcha pei (grande guitare courbe)
  4. Tro chai (râvanâstra à archet)
  5. Tro u (Amrta à archet)
  6. Skor (tambour)
  7. Pei ah (petit hautbois)
  8. Pei pok (flûte traversière)
  9. Khloy (flûte en bambou avec anche)



6. Orchestre Mohori (Luang Prabhang) 




7. Orchestre Mohori (Palais de Phnom Penh) 




8. L’orchestre des magiciens (Siem Reap) 




9. L’orchestre à cordes (Palais de Phnom Penh) 


La composition des orchestres à cordes varie légèrement. On y ajoute des instruments modernes ; on en retranche d’autres, mais l’effet reste inchangé dans ses grandes lignes.

L’orchestre à cordes du palais de Phnom Penh comprend seulement : pei toch (hautbois grave), sô do (violon), tcha pei (guitare courbe) et skor (tambour). L’orchestre du village de Phloeung Chhes Rotès (près de Phnom Penh) comprend : tcha pei (guitare courbe), tro u (violon grave), tro chai (violon aigu), pei ah (petit hautbois) et skor (tambour).

L’orchestre de Siem Reap : tro sô ou tro chai (violon), tro u (violon aigu), tcha pei (guitare courbe), banjo, guitare chinoise, cymbales.


L’orchestre populaire

L’orchestre populaire à cordes qui se retrouve dans toutes les cérémonies villageoises est compose de quelques instruments dont les sonorités sont moins brillantes et la forme mélodique de moindre étendue mais plus ornée que dans l’orchestre à cordes du palais.

Les instruments de l’orchestre populaire sont :
  • Tcha pei (guitare courbe)
  • Tro u (râvanâstra)
  • Tro i (amrta)
  • Tambour
  • Petites cymbales.


Notation musicale

La musique cambodgienne ou laotienne n’est pas habituellement notée. Il semble même que les musiciens ne donnent pas de noms aux notes et ils sont étonnés lorsqu’on leur pose la question.

On a récemment introduit au Laos un système de notation par chiffres qui ne semble pas être d’un usage répandu, ni d’une utilité évidente. Les efforts faits pour noter la musique de l’orchestre du palais à Phnom Penh en notation européenne ne semblent pas avoir eu d’utilité pratique et ont été plutôt nuisibles au maintien de la tradition musicale, puisqu’ils se référaient à une gamme de base différente de la gamme cambodgienne.



Composition

Toutes les œuvres musicales sont faites de phrases courtes à tendance pentatonique, le quatrième degré étant généralement évité et le septième n’apparaissant que de temps en temps.

La tonique varie d’un morceau à un autre, mais cela crée peu de différence lorsque l’accord est l’heptaphone tempéré ou une gamme s’en approchant. Il n’y a pas de changements de tonique au cours d’un morceau donné bien que l’introduction accidentelle du septième degré puisse sembler une modulation pour une oreille occidentale.

Dans la musique vocale il existe au Laos deux genres de compositions. La première, célébrant les exploits de héros légendaires, se développe en improvisations. La seconde, ayant pour thème l’amour, est faite de phrases rythmées, ornées parfois de vocalises, alternées entre un chanteur et une chanteuse. On intercale souvent des syllabes dénuées de sens pour allonger la phrase musicale et compléter la rime. Au Laos, le khène suit le chant dans l’accompagnement.

Bien que polyphonique la musique d’orchestre n’a pas de système harmonique. Les instruments reprennent en canon libre et improvisé le thème mélodique principal, plus ou moins syncopé ou orné de variations, soit à l’unisson, soit à l’octave, soit à la quinte.

L’indépendance avec laquelle les musiciens ornent différemment la mélodie dans une improvisation collective fait qu’un instrument ne peut jamais être doublé. Chaque instrument par sa sonorité et son étendue remplit une place définie dans l’ensemble.



Rôle rituel et magique de la musique

En dehors de la musique du palais et des fêtes qui est une musique d’art, la musique populaire joue un rôle rituel et magique au Cambodge comme au Laos.

« Au Laos, la musique est considérée comme un art qui relève de « Pisanukukan » (Vishvakarman), autrement dit le dieu des techniques, et les instruments de musique sont censés posséder un khouan, âme qu’il faut se garder de mécontenter. Réceptacles sacrés, les instruments des orchestres royaux et princiers sont déposés dans des pavillons ou des pièces éloignées pour éviter que leur khouan ne vienne troubler les âmes des habitants... Les instruments à percussion... ont une place à part. Doués d’un khouan puissant il faut leur présenter dès le début des cérémonies, des cierges, des mets, des fleurs et de l’encens, sinon ils feraient délirer les assistants et les exécutants... Dans le Sud Laos, les grands kong seng (tambours de concours) recouverts d’étoffe rouge sont dédiés aux génies protecteurs du village. Le maître du village enduit de jaune d’œuf les peaux tendues, puis les imbibe d’alcool.

Parmi les instruments à percussion, il faut donner une place spéciale aux kong vat, à ces tambours renflés, suspendus comme des outres... leur fabrication et leur mise en place donnaient lieu autrefois à de nombreux rites que nous décrit un des vieux manuscrits de la bibliothèque Royale. » (Charles Archambault, Les tambours des pagodes, Présence du Royaume Lao, dans France Asie, 1956)



Problèmes de la musique cambodgienne

La musique khmère ne s’est jamais perdue au Cambodge. Cela est rendu évident par le fait que dans chaque village on en retrouve aujourd’hui les orchestres et les instruments caractéristiques.

La musique du Palais par contre aurait été perdue et reconstituée assez récemment sur le modèle de la (musique siamoise. Ceci n’a d’ailleurs qu’une importance relative, la musique de la cour du Siam n’est en rien thai par son origine et ne présente aucune différence notable avec la musique savante du Cambodge. Les Siamois, plus prospères, ont seulement été à l’occasion de meilleurs gardiens de la tradition musicale khmère.

La musique savante du Cambodge a tendance à se modifier sous deux influences, l’une est la tendance pentatonique chinoise qui laisse entièrement de côté dans les mélodies le quatrième et le septième degrés de la gamme mais n’en change pas autrement la structure. Une superstition populaire veut que seul le pentaphone ait eu l’approbation de Confucius et du Bouddha. Il existe d’ailleurs une croyance similaire dans l’Inde sur le rapport des gammes pentatoniques et de Shiva.

Le plus grand danger pour la musique Cambodgienne vient de l’influence européenne. Des chefs d’harmonie de la marine ou de l’armée et d’autres amateurs de musique qui n’avaient jamais entendu parler de l’heptaphone tempéré ont été chargés d'enseigner le solfège aux musiciens du Palais et de leur apprendre à noter les mélodies et les formes orchestrales, comme s’il était possible de noter l’heptaphone tempéré en termes du dodécaphone.

Le résultat est que l’on a changé l’accord des instruments qui au Palais de Phnom Penh, est aujourd’hui à peu près diatonique, ce qui donne à la musique traditionnelle une vulgarité et une dureté souvent choquantes.

De plus dans cette nouvelle gamme de petits motifs entendus au cinéma ou à la radio s’introduisent facilement et on arrive rapidement à un hybride qui rappelle la musique des films indiens. Des « améliorations » ont été apportées aussi dans la composition des œuvres musicales. On y a introduit du réalisme imitatif et des formes de composition imitées de la symphonie (solos de flûte, changements de rythme, etc.).

L’orchestre royal de Luang Prabang est beaucoup mieux préservé que celui de Phnom Penh, bien que les musiciens soient moins nombreux. A Vientiane, par contre, la musique laotienne semble déjà très affectée par des influences étrangères.

La principale difficulté vient du manque de musicologues, aussi bien nationaux qu’étrangers, capables de discerner les caractères essentiels des systèmes de musique locaux. Les musiciens sont de petits employés qui, en dehors de l’enseignement oral traditionnel, ne possèdent ni une éducation ni une position sociale suffisantes pour leur permettre de réagir.

Les efforts très louables faits par les gouvernements pour protéger et encourager la musique nationale échouent, comme presque partout en Orient, parce que les personnalités choisies pour diriger les écoles nouvelles de musique et les orchestres n’ont pas de formation suffisante. Ils s’inspirent donc le mieux qu’ils peuvent des méthodes d'enseignement, de notation, de composition européennes qu’ils croient pouvoir adapter aux besoins de leurs enseignement musical. Les résultats sont désolants.

Les conseils les mieux intentionnés donnés dans le passé par des amateurs de musique étrangers, les remarques et les questions de musiciens de passage ont aussi des résultats désastreux.

La musique du Cambodge et du Laos, bien qu’aujourd’hui paralysée dans son développement et en voie de désintégration, représente une forme très ancienne et très importante de la musique Euro-Asiatique. Il serait extrêmement regrettable de la voir disparaître par suite d’une série de malentendus sur la manière de la préserver. Le fonds populaire reste encore solide et pourrait servir de base à la restauration des écoles de musique et des orchestres de palais.



10. So i (Siem Reap)




11. So u Ancien (Musée de Phnom Penh)




12. So u (Siem Reap)



Les instruments à cordes

Instruments à archet

Les instruments à archet sont généralement appelés « sô » au Laos et au Thaïlande et « tro » au Cambodge et en Birmanie. est un nom d’origine chinoise, tro passe pour le nom Cambodgien.

Le tro birman, qui ressemble à un violon européen et qui apparaît dans la sculpture de Tanjore dans l’Inde au 10e siècle, n’existe pas aujourd’hui au Laos ni au Cambodge. Il est remplacé par le tro khmer, plus allongé, et les .



Tro Birman 

Le tro khmer ou tro Cambodgien est appelé rabab à Java. C'est un instrument à cordes fait d’un long manche cylindrique et d’une petite caisse de résonance ovale sur laquelle est tendue une peau de chèvre. L’instrument se termine vers le bas par une longue pointe qui repose sur le sol un peu comme un violoncelle.


Cet instrument est utilisé dans l’orchestre Mohori et aussi dans les orchestres à cordes et les orchestres populaires. Presque identique au rabab arabe, il n’a pas d’équivalent dans l’Inde et n’est pas représenté dans la sculpture ancienne du Cambodge.


Les sô

Le du Laos et du Cambodge est un instrument à deux cordes (accordées en quinte). L’archet de crin, glissé entre les cordes, les fait résonner simultanément.

Le sô u est formé d’un long manche en bois travaillé et d’un résonateur fait d’une noix de coco fermée par une plaque de bois sur laquelle repose le chevalet. Les deux cordes sont rapprochées du manche, vers le haut, par une ligature de boyau ou de soie. L’archet est glissé entre les deux cordes. Cet instrument est appelé sen hwô ou hou khîm en Chine, où il était originellement un instrument de l'orchestre mongol. On l’appelle sô o ou sô u au Laos, sô u au Siam, tro u au Cambodge. Il est considéré à Java comme un instrument chinois, mais il existe un monocorde à archet presque identique à Bornéo.

Dans l’Inde cet instrument s’appelle ravanâstra ou râvana-hastaka dans le Nord, trâvanâttam en pays tamoul. Il est mentionné dans le Basava-purâna et le Pânditârâdhya-carita (14ème siècle). Le Râvani mentionné dans le Samgîta makaranda, un très ancien ouvrage, est probablement le même instrument. De nos jours le râvanâstra est joué surtout par les ascètes errants au Gujerat, en Orissa et dans l’Inde du Sud.

Le sô i, plus petit que le précédent, a pour résonateur un petit cylindre de bois recouvert d’une peau de python sur laquelle repose le chevalet. Les deux cordes sont accordées en quinte. Cet instrument est appelé thî khîn en Chine, où il était originellement un instrument de l’orchestre mongol. Il est considéré à Java comme un instrument chinois. Il s’appelle sô luang au Siam ; sô i au Laos ; tro sô ou tro chai au Cambodge ; chai nhi au Viet Nam.

Le sô i s’appelle amrta dans l’Inde. On confond souvent le ravanâstra et l’amrta, les deux noms servant tantôt pour l’un tantôt pour l’autre instrument.

Le sô bang du Laos est un rustique fait d’un tube de bambou monté sur un manche.


Instruments à cordes pincées

Le ta khé, qui est appelé tchaké ou garaté (crocodile) au Siam, est une guitare horizontale à trois cordes de grandes dimensions montée sur des pieds d’ivoire. Les deux cordes aiguës sont en boyau, la corde grave en laiton. Les cordes sont accordées en quinte et octave.



13. Tro khmer (Musée de Phnom Penh) 




14. So i ancien (Musée de Phnom Penh) 




15. Cha pei ancien (Musée de Phnom Penh) 



16. Cha pei et Tro khmer (S’iem Reap) 





Le chevalet est allongé, avec une légère courbure sous les cordes, comme dans la tanpurâ indienne, ce qui donne un son riche et soutenu.

Le ta khé sert dans l’orchestre Mohori, dans l’orchestre à cordes et comme accompagnement pour le chant.

Le magyaun (Sanskrit makara, Hindi magar, crocodile) de Birmanie est un instrument similaire mais dont la caisse est ornée en forme de crocodile. En Chine le ta khé, appelé crocodile, est considéré comme un instrument birman.




Magyaun 

Le ta khé est apparenté à l’ancienne kacchapî (tortue) indienne que le Nâtya-shâstra décrit comme une variété de dâravî. C’est de la kacchapî que sont probablement dérivés les larges sitar du Bengale et la grande vînâ du Sud de l’Inde.


Il semble fort probable que le ta khé cambodgien, comme le crocodile thai ou birman, soit un instrument d’origine indienne.

Au Siam on appelle kacchapî de petites guitares de diverses tailles à quatre cordes (doublées). Cet instrument ressemble au tha ké mais en beaucoup plus petit.

Le ketchapi javanais est aussi un instrument horizontal mais à six cordes.



Kachapi 

Le châ peï est l’instrument à cordes le plus répandu et le plus caractéristique du Cambodge. C’est une très longue guitare à deux cordes, au manche mince et recourbé. Dans le châ peï thom (châ peï grave) les cordes sont doublées. Le châ peï a souvent plus de 1 m 50 de long ; les touches donnent deux octaves.

Le châ peï sert dans l’orchestre Mohori, dans l’orchestre à cordes et dans les orchestres populaires. Cet instrument, n’existe pas dans l’Inde mais ressemble au guenibri Nord-Africain.

Le châ peï toch est un plus petit instrument, identique au cai dan nguyet viètnamien. Il a quatre cordes, accordées deux par deux, formant une quinte. Il est presque partout aujourd’hui remplacé par la guitare (qui a presque exactement le même son) ou le banjo.

Cet instrument n’a pas d’équivalent dans l’Inde mais est plus allongé que l'instrument chinois correspondant.

Le sâ deo (sô do ou sa diou) ou monocorde est un instrument très ancien, apparenté à la vînâ indienne. On en trouve des représentations à Angkor Vat (première moitié du 12e siècle).

Le sâ deo est fait d’un manche droit ou courbé. La corde surélevée aux deux bouts est rapprochée du manche par une ligature de soie. Une demie courge sert de résonateur et s’applique sur le ventre du musicien. Les sons sont plus ou moins étouffés selon que la courge est plus ou moins pressée contre le ventre.

Des instruments plus complexes, semblables à la vînâ indienne, faits d’un bambou, portant des frettes, et d’une gourde, sont représentés dans la sculpture khmère comme dans celle du Barabudur. Ces instruments n’existent plus aujourd’hui.



17. Harpe Angulaire (Angkor.) 




18. Monocorde (Musée de Phnom Penh) 




19. Khong vong (Luang Prabhang) 




20. Khong vong (Angkor Vat) 


La Harpe

Deux types de harpe sont représentés dans la sculpture d’Angkor, la harpe angulaire et la harpe arrondie. Cette dernière existe encore en Birmanie mais dans aucun autre pays du Sud-Est Asiatique.

Les deux types de harpe communs dans l’Inde ancienne y sont représentés dans la sculpture depuis le 2e siècle av. J. C. Ils étaient répandus aussi dans le Moyen-Orient et l’Asie Centrale et sont très probablement un apport indien dans la civilisation khmère.



Les instruments à percussion mélodiques

Le Khong

Le khong, ou jeu de gongs, est formé d’une série de petits gongs de bronze (généralement seize) suspendus horizontalement sur un cadre circulaire en rotin. Le diamètre des gongs varie de 12 à 16 cm.

On en joue avec des maillets de bois dont la tête est entourée de cuir d’éléphant.

Le khong vong est presque toujours du même modèle mais de deux tailles, l’un grave appelé khong thom et l’autre aigu, le khong toch.

L’étendue du khong thom est généralement :


celle du khong toch :


Le khong joue un rôle très important. C’est un des instruments de base de l’orchestre cambodgien et laotien. Il en existe plusieurs représentations dans les bas-reliefs d’Angkor Vat (12e siècle). Il n’existe pas d’instrument de ce type en métal dans l’Inde (1) mais des instruments conçus sur le même principe ont été connus très tôt. Le commentaire du Kâma-sûtra par Yashodhara (13e siècle) mentionne les jeux de bols de diverses tailles remplis d’eau, frappés avec des baguettes, et qui sont appelés udaka-vâdya. Cet instrument est aussi mentionné dans le Shukra-nîtisâra.

Un autre instrument indien du même type est fait de petits tambours de tailles diverses.

Il semble donc que, bien que l’Inde ait connu divers instruments de ce genre, l’idée d’en construire un avec de petits gongs soit bien khmère — les jeux de gongs ayant toujours joué un rôle important chez les populations de l’Indochine.

Un ancien instrument siamois, le pat khong, était fait de petites coupes de métal renversées sur des supports.

Le khong est appelé gong vong ou khong vong au Siam et au Laos, pon gang à Java.



Jeu de gongs siamois 

Le khong aigu s’appelle gong vong let au Siam, kong noï au Laos. Le Khong grave gong vong yaï au Siam, khong nhaï au Laos.

Le gong houï, jeu de trois gongs qui sert dans la musique du Râmâyana à Bangkok, est un ancien instrument khmer dont il existe des représentations à Angkor Vat. Je n’en ai point rencontré au Cambodge ni au Laos où il a dû pourtant exister aussi.


jeu de gongs (Angkor Vat) 

Une autre forme du gong houï, qui n’est plus aujourd’hui en usage qu’au Siam, comporte une série de grands gongs suspendus en cercle.



Gong houi 

Les grands jeux de gongs jouent un rôle très important dans la vie des tribus du Nord du Laos et constituent une des possessions les plus estimées des villages. On en joue dans toutes les cérémonies rituelles et pour les fêtes.

D’après la tradition chinoise ce sont ces populations qui inventèrent le gong vers le 5e ou le 6e siècle.

Les gongs ont toujours joué un rôle important dans la musique du Cambodge depuis leur invention (vers le 6e siècle). Il existe un grand nombre de représentations de grands gongs portés par deux hommes et frappés par un troisième dans les bas reliefs d’Angkor.

Aujourd’hui il y a des gongs dans beaucoup d’orchestres. Ils sont de deux types. La plaque de cuivre au son clair que l’on frappe avec un marteau est identique au gong rituel indien. L’autre gong, au centre renflé et aux bords incurvés, est pareil au gong chinois. Il donne un son grave et vibrant.

Au Siam le gong Chinois s’appelle gong mong.




Charb 




21. Rang nat (Luang Prabhang) 





22. Orchestre Khmer (Angkor Vat)
(Flute droite, flute double, khong vong, shaing, tambours, gongs) 




23. Ronéat dek (Palais de Phnom Penh) 




24. Sra laï et Shaing (Musée de Phnom Penh) 


Les cymbales

Les tching sont de petites cymbales au son très clair identiques aux tâla indiennes et servant, comme dans l’Inde, à guider les danseurs et les musiciens. On les appelle sing au Laos, sing en Chine, tching et parfois tchung au Cambodge et au Siam. Il en existe de nombreuses représentations dans la sculpture d’Angkor.

De plus grosses cymbales servent aussi dans l’orchestre Pi phat de Bangkok. On les appelle charb lek et charh yaï.

Le nom de tching est parfois aussi donné à des baguettes de bois frappées l'une contre l’autre.


Le Rang nat

Les xylophones du type rang nat sont formés de lamelles de bambou ou de bois de longueurs et d’épaisseurs variables suspendues sur deux cordelettes au-dessus d’une caisse de résonance en bois incurvé.

Les lamelles sont frappées à l’aide de baguettes de bois dont la tête est entourée de cuir. On accorde l’instrument en alourdissant les lamelles avec de la poix mélangée de bitume.

Cet instrument est appelé kinnarî dans le Bengale où il se rencontrait fréquemment au 19e siècle. Une autre forme de la kinnarî indienne, rare aujourd’hui, était un instrument à cordes (une vinâ à trois courges).

Il semble bien que, sous sa forme actuelle, le xylophone soit venu en Inde de Birmanie. Plusieurs ouvrages sanscrits mentionnent toutefois une raghunâtha-vînâ dont le nom rappelle celui de l’instrument cambodgien.

Dans l’orchestre on trouve presque toujours deux rang nat l’un grave, l’autre aigu.

Le rang nat aigu s’appelle ronéat ek à Phnom Penh, ranad ek au Siam, ro nad au Nord du Cambodge ; rang nat ou nang nat au Laos. C’est le tchalung de Java, le potala birman. En Chine, où il fut introduit par l’orchestre birman, on l’appelle pâ-tâ-lâ. Les touches sont en bambou.

Le rang nat grave s’appelle ronéat thom au Cambodge, ranad thom au Siam. Ses touches sont en bois dur.

A Phnom Penh on distingue deux variétés de ronéat thom, le ronéat thom toch, et le ronéat thom thom.

L’amplitude du ronéat ek est :


celle du ronéat thom :



Le Rang nat thong

Le rang nat thong est un xylophone rectangulaire, souvent monté sur des pieds à roulettes. Les touches du clavier sont en bois dur. Son amplitude est la même que celle du ronéat thom


Le Roneat dek

Dans le ronéat dek cambodgien, ou ranad lek siamois, les touches sont en métal, la forme de l’instrument se rapproche beaucoup de celle du rang nat thong.

Suivant la hauteur du son, cet instrument s’appelle ranad ek lek (ronéat ek dek) ou ranad thom lek (ronéat thom dek).


Notes

1 Le Gong d’après les sources chinoises est l’invention de populations situées entre la Birmanie et le Laos. Il est mentionné pour la première fois en Chine au Ce siècle. Le premier jeu de gongs javanais connu date du 9e.



Les instruments à vent

Le sra laï ou pi naï (autrefois pi chanaï)

Le sra laï est un hautbois, fait d’un bois massif assez lourd, auquel s’adaptent une mince embouchure de métal et une anche de roseau.

Le nom indien du hautbois est sahnaï ou nâga-svaram. C’est un instrument très ancien répandu dans toute l’Inde et le Moyen-Orient et qui s’appelait déjà naï chez les Sumériens. Il en existe des représentations à Angkor Vat. Il n’y a aucun doute que le mot sra laï soit le sahnaï Indien. Naï est le nom persan, pi le mot chinois pour tuyau. Suivant sa taille cet instrument est appelé au Siam pi naï (grand), pi klang (moyen), Pi nork (petit). Un plus petit hautbois, très répandu dans la musique populaire du Cambodge, s’appelle paï ah.



25. Khène (Vientiane) 




26. Ta phon (Luang Prabhang)




27. Skor et Rumanea (Musée de Phnom Penh) 




Pai ah

Un hautbois, plus classique de forme, et presque identique au sahnaï indien est appelé sra laï au Siam, pei au Cambodge. Selon sa taille on distingue un pei toch aigu et un pei thom grave. C’est le surna tibétain, le hné Birman.



Pei toch

Le Khouy

Le khouy laotien est une flûte droite de bambou à sept trous, au son très pur.
Cette flûte s’appelle au Cambodge khloy toch (aigu) et khloy thom (grave). Au Siam c’est le khouy pen ah (grave) et khouy lip (aigu). C’est le Pillu i birman.



Khloy 

Le shaing (shringa Indien) est une corne classique qui existe aujourd’hui au Cambodge et dont il y a de nombreuses représentations à Angkor Vat.


Le Khène Laotien

L’instrument caractéristique de la musique du Laos est le khène, un petit orgue a bouche fait de deux rangs de tuyaux de bambou portant des anches libres de métal et montés sur un réservoir de bois dans lequel souffle le musicien. Un trou latéral dans chaque flûte permet d’en interrompre le son. Les Khènes sont de diverses tailles, graves ou aigus. Certains peuvent être fort grands (3m).

Le musicien, aspirant par le nez et faisant de sa bouche un réservoir d’air, arrive à donner au khène un son ininterrompu, comme cela se pratique aussi sur la double flûte indienne.

Le khène n’existe au Cambodge et au Siam que chez les populations laotiennes. En tous cas il est partout mentionné comme un instrument laotien. C’est un instrument essentiellement polyphonique. Il se joue souvent seul, mais sert aussi pour accompagner le chant. Il forme une catégorie à part dans la musique de l’Indochine. On utilise parfois au Laos des khènes dans l’orchestre Seb noï (ou Mohori) qui accompagne les chanteurs.

La musique de khène est toujours une polyphonie modale reposant sur une tonique fixe comme c’est le cas pour la cornemuse écossaise ou la double-flûte indienne. La gamme est à sept tons formant le diatonique classique, le Madhyama-grâma des Hindous, mais les deux rangs de tuyaux sont souvent accordés à un demi-ton d’intervalle et permettent donc de jouer toutes les gammes.

Les musiciens ont toujours plusieurs khènes de tailles différentes, leur permettant de prendre une tonique adaptée à la voix des chanteurs. La taille des khènes varie de 1 m. à 3 m. environ.

Il existe trois variétés de khène à 6, 14, ou 16 tuyaux. Le joueur de khène est appelé mo-khen.

Le khène est visiblement apparenté au cheng chinois (le sho japonais) et phonétiquement les deux noms (khène et cheng) sont identiques.

Le cheng toutefois diffère du khène par sa forme, étant circulaire au lieu de rectangulaire. Il est aussi accordé sur une autre échelle. L’origine extrêmement ancienne de cet instrument semble se situer dans le Sud-Est asiatique, dans la région de l’actuel Laos.

Etant donné la popularité du khène dans tout le Laos et l’absence d’autres influences musicales dans le pays il y a de fortes raisons de penser que le khène est un instrument autochtone du Laos imité par les Chinois.


28. Skor thorn (Luang Prabhang) 

Il ne semble pas qu’il existe de khène clans la sculpture khmère où se rencontre seulement la flûte double indienne qui lui ressemble beaucoup musicalement. On trouve toutefois des instruments du type cheng dans la sculpture du Barabudur (9e siècle) à Java ; et il existe un khène primitif le labou dans l'île de Célèbes, d’autres dans le Nord de la Birmanie.

Le khène est décrit dans le Souei Chou comme un instrument typique du Founan, qui couvrait la partie méridionale du Cambodge et du Sud Viet Nam jusqu’au milieu du sixième siècle ap. J. C.

L’invention de l’anche libre est liée à celle du khène. Selon Curt Sachs (History of Musical instruments, p. 182) c’est après avoir étudié un cheng chinois à St. Pétersbourg qu’un physicien danois suggéra l'introduction de l’anche libre dans l’orgue et cette découverte fut suivie au 18e siècle de l’invention de l’harmonium, de l'accordéon et de l’harmonica.

Les petits bambous qui forment les tuyaux du khène sont de même diamètre mais de longueurs diverses. Ils sont placés sur deux rangs comme deux grandes flûtes-de-Pan juxtaposées. Ces bambous sont assemblés à l’aide de deux demi-calebasses fixées avec de la cire et laissant une ouverture d’où sort une petite embouchure. Des trous sont ménagés dans chaque bambou de manière à ce que les doigts puissent aisément les obturer lorsque les deux paumes des mains serrent les calebasses. Des anches, autrefois de bambou, aujourd’hui de métal, sont placées à la partie supérieure de chaque bambou.

Le khène est appelé phène au Siam. C’est l’ancien sanh hoang vietnamien, appelé en Chine tché, sinh ou thô.


Les tambours

Le sam phor ou ta phon ressemble au maddalam indien. C’est un tambour cylindrique horizontal dont on frappe les deux extrémités avec les mains.

Le corps du tambour est fait d’une seule pièce de bois de tek creusée. Les deux extrémités, dont l’une est plus large que l’autre (24 cm et 22 cm environ), sont recouvertes de parchemin attaché avec des lanières de cuir, la longueur est d’environ 48 cm, la circonférence de 106 cm.

Le centre des deux peaux est alourdi avec une pâte de farine de riz et de cendre de palmier dont le poids relatif sert à accorder la peau, mais avec moins de précision que dans le tambour indien. Des représentations de ce tambour se rencontrent à Angkor Vat. Il s’appelle sam phor au Cambodge, ta phon au Laos, tapone au Siam, chaibou au Viêt Nam.

Le skor ou thong est un tambour de bois travaille dont une extrémité renflée est recouverte de parchemin retenu au tambour par un tressage de joncs. C’est le darbucca arabe, le dambek persan. Ce tambour ne se rencontre pas dans l’Inde. Il s’appelle thon ou thong au Laos et au Siam, skor ou skor thom au Cambodge. C’est un instrument très courant dans l’orchestre à cordes et la musique populaire.

Le romanea est un tambour plat, fermé à la partie inférieure et recouvert d’une peau clouée d’un diamêtre d’environ 30 centimètres.

Le song-na est un long tambour cylindrique en bois. Les deux extrémités sont couvertes de peaux fixées par des lanières de cuir. Cet instrument est représenté à Angkor Vat ; il diffère des tambours indiens. On l’appelle song na au Cambodge et au Laos et song na ou poeng mang au Siam. Sa longueur est de 55 à 58 cm, sa circonférence de 71 à 73 cm. Une des extrémités est alourdie d’une pastille de pâte de riz.


Sang na 

Le skor thom est un très grand tambour, au son grave et puissant. Il est fait de bois et recouvert de peau de buffle. On le frappe avec des baguettes de bois. Un anneau de cuivre, fixé sur le côté, permet de l’incliner à l’aide de deux bâtons.


Dans l’orchestre Pi phat comme dans l’orchestre Mohori un couple de skor thom assure la basse rythmique. Ce tambour s’appelle skor thom au Cambodge, kong that au Laos, kong thad au Siam.




Bibliographie


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