Instruments de la musique populaire turque
D’après un article extrait de la publication « Aspects de la musique turque », de M. Picherot. Éd. Direction des Ecoles - Ministère de l’Education Nationale - F.
… « Dans la musique populaire, la voix est prédominante. Elle n’a pas forcément besoin d’instruments pour conduire les danses. Mais le rôle des instruments est tout de même plus important en Turquie qu’en pays arabe, par l’effet de traditions asiatiques sans doute.
Dans les villages, c’est le couple qui avait impressionné Bartok, le davul-zurna, qui marque toutes les fêtes et cérémonies, les luttes, le « djirit » (jeu de javelot à cheval) etc. K. REINHARD le compare à la conjonction des tambours et fifres utilisés de nos jours dans la musique provençale (on pour rait dire aussi basque, etc.).
Le “davulcu” joueur de davul, dirige la danse ; il évolue lui-même en rond, exécute des pas, tout en percutant les deux peaux du grand tambour suspendu à son cou, de la main droite avec une mailloche en bois qui bat les temps forts (entendus de très loin), de la main gauche avec une fine baguette de bambou qui produit des rythmes secondaires très variés. Le hautboïste, joueur de zurna, se tient à l’écart et suit les mouvements indiqués. Le zurna, en bois tourné, de la famille des hautbois coniques répandus en Afrique du Nord et en Asie, est pourvu d’une anche double, emboîtée sur un petit bec de cuivre raccordé au tuyau par un anneau métallique auquel s’appuient les lèvres. Le musicien fait de ses joues gonflées un réservoir d’air et joue sans interrompre le souffle, respirant par le nez et fermant la cavité buccale par le voile du palais. Percé d’un trou au dessous du pouce, et de huit trous au plus, le zurna comporte à l’intérieur un mince tube, offrant ainsi plus de possibilités. En fait, l’ambitus étendu de l’instrument n’est pas fréquemment utilisé ; les mélodies se tiennent souvent à l’intérieur d’une quinte, mais l’ornementation très variée et la modulation dans un autre registre combattent la monotonie. Sur le rivage oriental de la Mer Noire, il existe un zurna de petite dimension, le cura zurna (cura = petit).
Il arrive que le compagnon du davul soit, au lieu du zurna, le mey (qu’il ne faut surtout pas confondre avec la flûte ney). C’est un hautbois qui existe ailleurs, en Asie, jusqu’au Japon : tuyau court, sans pavillon, percé de quelques trous, et dont l’anche double est volumineuse. Son timbre doux et sombre, comparé à celui du zurna qui est aisément criard, ne l’empêche pas d’être utilisé, moins fréquemment certes, aussi pour les fêtes de plein air dans certaines régions.
Empruntées à l’Occident, les clarinettes remplacent le zurna en quelques endroits, mais K. Reinhard mentionne qu’à l’Est de Sivas elles étaient dans un emploi mal compris, avec les clés démontées.
Dans le Nord-Est, là où réside la minorité Laze, le tulum, sorte de biniou, joue un rôle assez important ; à l’intérieur d’un sac en peau de chèvre sont reliés l’un à l’autre deux tuyaux qui, à l’extrémité, ont un pavillon commun recourbé en avant ; chacun a deux becs de clarinette. Le jeu combiné des cinq trous de chaque tuyau fournit des accords, des possibilités polyphoniques séduisantes (sans en chercher l’origine, saluons-les au passage).
Auprès de ces hautbois qui sont joués par les musiciens professionnels des campagnes, (et disons bien campagnes, comme milieu géographique), les flûtes appartiennent aux bergers, plus rarement à des paysans.
Instrument propre aux bergers et “paré de vertus surnaturelles”, le Kaval est une flûte longue, primitive, percée en général de 6 trous, plus un pour le pouce. Le trou supérieur est au milieu, et les autres à deux doigts de distance. La flûte tenue un peu obliquement, l’embouchure est entre les deux lèvres et “les bons joueurs fredonnent simultanément un bourdon”.
Les instruments à cordes ont été employés très tôt en Asie Centrale. On est mal renseigné sur les modèles que les Turkmènes ont pu introduire avec eux dans le Khorassan, puis en Anatolie. Leur ancien violon, l’iklig, dont le nom signifie qu’il est “joué avec un archet”, a depuis longtemps disparu. Fait d’une demi-noix de coco, il fut, semble-t-il, transformé en Perse et devint sans doute proche du “rebab” des Arabes, qui sous ce nom retourna vers l’Asie comme il alla vers l’Europe. Notons que récemment encore les nomades Yürük de la province d’Adana transportaient, auprès de violons grossiers de type occidental ou de type chinois, sous le nom de kabak (= calebasse) des courges entaillées, avec une peau collée dessus, et des chevilles au col (notons qu’on voit le Kabak sur des estampes de 1720).
Le kopuz, le plus vieil instrument à cordes pincées, a été transformé très tôt, peut-être dans les monts Altaï, en instrument à archet sous le nom de “Kolça Kopuz” (Kopuz = à bras ; référence à l’allongement de son manche). Les prédécesseurs des achik, les “ozan”, bardes des tribus Oghouz, s’en servaient pour accompagner leurs récits épiques.
Le kemençe (kemantcha en Perse) est couramment en usage, sur des régions peu étendues, au Nord-Est de la Turquie, dans la minorité Laze, où il voisine avec le biniou “tulum”, et surtout dans les anciennes provinces grecques du Pont, d’où son nom de “lyre pontine”. Son corps est en forme de boîte, avec un manche qui se distingue à peine de la caisse. Sur ses trois cordes de métal accordées par quartes (par exemple mi-la-ré), le jeu est le plus souvent polyphonique, par effleurement constant de deux cordes, la deuxième généralement en bourdon, mais aussi par le jeu simultané de la mélodie en doubles-cordes (qui est notre régal, à nous violonistes d’occident), le tout exécuté d’une façon variée, rapide, très entraînante, et qui sans doute est grecque plutôt que turque. Là, de nouveau, l’affleurement d’une polyphonie ne fait pas preuve pour le domaine anatolien.
Le violon européen, dit kéman, est assez courant en Anatolie du Sud, parfois associé au saz, sur la côte dans la région à l’Ouest d’Adana, Mersin, etc. et tenu appuyé sur la cuisse gauche, comme le kemençe.
Beaucoup plus typiquement turcs sont les instruments à cordes pincées les luths à manche long, dérivés du vieux kopuz et dont le nom commun, saz, nous l’avons dit, atteste “l’instrument” par excellence. Dans l’ordre croissant des tailles, la famille des saz comprend :
— le cura (petit) facilement transportable, instrument à trois ou quatre cordes, d’un jeu difficile, traditionnel chez les achik alevî.
— le baglama, à six cordes.
— le meydan saz (meydan = place publique) et le tanbura ;
— le divan sazi, à neuf cordes (joué sur un divan, assis en tailleur, et qui pour autant ne renvoie pas à la musique ottomane, divân) ; il est comme le violoncelle au violon.
Sauf le cura, les saz sont joués avec un plectre. On gratte toutes les cordes à la fois ; les plus graves, à vide, font bourdon (ce qui est une “polyphonie” très élémentaire).
La forme est à peu près celle qu’avait déjà le baglama au 12ème siècle celle d’une caisse (de châtaignier) en demi-poire, qui se rétrécit sur un long manche (de prunier). La table (de sapin) n’est pas percée, à la différence de celle du ’ud arabe (il existe cependant une ouïe sous la caisse de résonance). Le manche est pourvu de frettes que le musicien peut ajuster.