Le luth et la mandoline




Ancien instrument à cordes pincées, qui occupe une place très importante dans la musique instrumentale des 16ème et 17ème siècles. Il descend en filiation directe d’un instrument persan ou arabe appelé « ’ud », apparenté à l’ancienne guitare mauresque et introduit en Espagne au 12ème ou 13ème siècle (« Al-’ud » devient « laud » en espagnol puis « lut » en vieux français).

Sous sa forme définitive, adoptée depuis la fin du 14ème siècle, la caisse du luth a l’aspect d’une demi-poire. Son dos convexe est formé de 9 à 40 « côtes » en sycomore collées les unes aux autres. Dans la table, en sapin, est découpée une belle rose ornée. Le manche, à l’extrémité duquel le cheviller est placé perpendiculairement, est divisé en cases (« touches » ou « tons ») comme la guitare. L’instrument classique est tendu de 5 doubles cordes et une corde simple (la chanterelle), dont l’accord n’a cesser de varier. Le plus fréquemment adopté fut l’accord du « vieux ton » au 16ème siècle (sol-do-fa-la-ré-sol en montant) ou l’accord « nouveau » au 17ème siècle (la-ré-fa-la-ré-fa).
Des cordes supplémentaires de basse étaient parfois tendues en dehors de la touche donnant naissance à une variété d’instruments plus importants à très long manche, munis de deux chevilliers : archiluth, théorbe, chitarrone souvent d’une grande beauté. Les archiluths servait surtout à l’accompagnement et à la réalisation de la basse continue.


Ressources




Source : Universalis

LUTH

L’histoire de la musique en Europe montre que chaque siècle possède son instrument de prédilection, tel le piano au XIXe siècle . Le seizième fut l’âge d’or du luth. Il fut le premier instrument à jouir d’une vogue propre, analogue à celle de la viole ou du clavecin. Sa marque reste vivace parmi les idéaux de notre civilisation puisqu’il représente généralement le symbole poétique de la musique. La littérature et l’imagerie de la Renaissance évoquent très souvent le luth jusque dans certaines peintures à caractère religieux où il figure entre les mains des anges. Destin glorieux pour un instrument qui subira une longue éclipse avant que son répertoire ne renaisse à la fin du XXe siècle. Néanmoins, l’art du luth fut pratiqué durant trois siècles et demi, du Moyen Âge jusque vers 1780. Malgré une vie relativement brève, cet instrument joue un rôle fondamental dans la naissance de la musique européenne : son avènement correspond au développement de la musique instrumentale qui ne jouait auparavant qu’un rôle secondaire. Ses possibilités polyphoniques autorisent et suggèrent à la curiosité des musiciens les premiers accords. L’apparition du luth est donc une période clé dans la genèse de l’harmonie occidentale.
Toutefois, le luth des pays d’Europe n’est qu’un individu de la vaste famille des cordophones. Tous les instruments se composant d’une caisse de résonance sphérique ou ovale et d’un manche sur lesquels se tendent des cordes peuvent se ranger dans la catégorie des luths ; en outre, ceux-ci se différencient des harpes et des cithares par la brièveté de leur son. On trouve des luths dans le monde entier et depuis la plus haute antiquité : les civilisations babylonienne et hittite l’utilisent couramment (IIIe millénaire av. J.-C.), ainsi que les Égyptiens dès la XVIIIe dynastie. On le rencontre aussi dans l’Asie antique, où il a d’ailleurs survécu sous des formes variées dans les musiques actuelles. Les Indes fournissent l’exemple de la vina  et du sitar , dont le jeu permet d’exprimer un art musical extrêmement raffiné et hautement spirituel. En Chine et au Japon, le k’in  et le biwa  sont des instruments de musique traditionnelle dont l’apprentissage nécessite une discipline d’ascèse et de purification. On connaît aussi de nombreuses variétés de luths en Afrique, et les pays arabes possèdent un instrument du même genre, dont le nom ancien al-aoud  (le bois) est à l’origine du vieux français lut .
1. Les origines : le luth arabe (al-aoud)
Depuis plusieurs siècles, le luth symbolise la musique traditionnelle dans le monde arabe. Sa forme actuelle semble s’être stabilisée vers 750 avant J.-C., période depuis laquelle il se caractérise par une caisse de résonance particulièrement ronde et profonde, un manche court et étroit terminé par un chevillier renversé en arrière. La table d’harmonie qui recouvre la caisse est en bois résineux, souvent percée de trois roses (qui subsisteront dans le luth médiéval occidental, comme on peut le voir par exemple dans les miniatures ornant les Cantigas de Santa Maria  du roi Alphonse le Sage vers 1250). La plaque de touche est dépourvue de frettes mais la théorie musicale arabe savante sait en calculer les emplacements. Il existe de nombreux autres types de luths comme le koueitra  marocain à la forme allongée et dont la table n’est percée que d’une seule rose, le setâr  iranien employé pour jouer la musique persane raffinée et également une grande quantité de luths à manche long. Notons enfin que l’aoud classique connaît une version tunisienne plus petite.
L’aoud est joué pour accompagner le chant classique, seul ou avec d’autres instruments d’orchestre, et en solo dans les improvisations – les maqâmat , formules destinées à être développées selon les règles complexes de la musique arabe savante. Depuis ses origines, la tradition de jeu de l’aoud n’a subi aucune rupture et il est toujours pratiqué et enseigné selon les différentes traditions dans les grands centres comme Bagdad, Beyrouth, Le Caire et Rabat.
Actuellement, l’aoud est tendu de cinq doubles cordes, traditionnellement de boyau mais que l’on remplace de plus en plus par le nylon. L’instrument est tenu à l’horizontale, la caisse sur la cuisse du musicien, qui pince les cordes au moyen d’un plectre en plume d’aigle – aujourd’hui en plastique – tenu entre le pouce et l’index. Il faut remarquer l’identité de position des luthistes occidentaux, au travers de l’iconographie médiévale et renaissance, en particulier en ce qui concerne la main droite, même lorsque ceux-ci eurent abandonné l’usage du plectre.
L’aoud est accordé en quarte juste, avec une seconde (sol  1, la  2,   3, sol  3, ut  4). Sa sonorité peut être douce et veloutée ou à l’inverse gutturale et dure selon le type d’attaque. Son pouvoir expressif très vaste provoque chez l’auditoire, lorsqu’il est joué avec art, une sorte de fascination que le public occidental des XVIe et XVIIe siècles semble avoir connu dans des conditions comparables.
2. Le luth occidental
Organolologie et lutherie
Depuis son apparition en Europe vers le IXe siècle jusqu’à son abandon, le luth a conservé une caisse de résonance en forme de demi-poire, avec de légères différences de lignes selon les écoles, poursuivie par un manche et un chevillier monté selon un angle prononcé et divisé par des ligatures de boyau, les frettes. Mais au long des siècles, bien des éléments se sont transformés : le nombre des cordes n’a cessé de s’accroître, les manches de s’allonger, les chevalets de s’élargir, sans parler des décorations dont le style changeait pour satisfaire au goût du moment et dont la quantité variait selon la fortune de l’acquéreur. Lorsque l’instrument apparaît à nos yeux, il serait vain d’imaginer, si l’on est étranger au métier de luthier, combien d’opérations multiples et complexes interviennent dans la fabrication d’un luth. Le plus frappant est sa grande légèreté : à taille égale, le luth est trois fois plus léger qu’une guitare de concert moderne. Cette caractéristique s’explique par la minceur des éléments et le choix des matériaux. Il en résulte une extrême fragilité, seule responsable de l’incroyable érosion subie par les luths : sur plusieurs dizaines de milliers d’instruments fabriqués pendant les XVIe et XVIIe siècles, quelque deux cents seulement nous sont parvenus et pour la plupart ils sont en bien piteux état.
Les conseils de prudence ne manquent pas à l’époque ; ainsi Thomas Mace nous dit en 1676 : « Il n’y a rien de mieux que de ranger son luth dans un lit où l’on dort couramment, mais il faut prendre garde de ne point s’y jeter, car nombre de bons luths se sont ainsi gâtés. » C’est en tout cas une conception à la fois rigide et légère qui confère au luth son timbre cristallin inimitable. D’autre part, les qualités propres d’un instrument peuvent être plus ou moins bien mises en évidence par le choix des cordes – groupées par paires – toujours faites de boyau de mouton, et dont les meilleures étaient fabriquées à Rome et à Munich.
Tous les textes anciens insistent sur le fait que la qualité d’un luth dépend avant tout de la sécheresse des bois employés. À cela il faut ajouter que les arbres devront être abattus au début de l’hiver, période à laquelle la sève est descendue dans les racines. La caisse de résonance d’un luth est réalisée par un assemblage de côtes , fins fuseaux de bois dur, dont les plus employés sont : l’érable ondé, l’if, le frêne, mais aussi le corozo (appelé ivoire végétal) et l’ébène. Le nombre de côtes peut varier considérablement, environ onze, mais les Italiens ont apprécié les caisses « multicôtes » (de 31 à 51 et plus) où un effet de trompe-l’œil très surprenant était obtenu en débitant chaque côte d’if à cheval sur le cœur et l’aubier, aux couleurs très opposées. Pour assembler la caisse, les luthiers avaient recours à l’usage d’un moule en bois massif, sculpté à la forme de la future caisse. Une fois les côtes jointes les unes aux autres au moyen de papier collant, la caisse était proprement démoulée et les joints renforcés à l’intérieur par des bandes de papier ou encore par du parchemin qui, après collage à la colle chaude, avait la propriété de mettre la caisse en tension et de lui conférer ainsi une rigidité exceptionnelle. C’est ce procédé qui provoque sur chaque côte un creusement, dont l’effet esthétique ne manque jamais d’arrêter le regard. Le manche, toujours fait de bois léger, est très rond au XVIe siècle puis minutieusement galbé « en bec de canard » au XVIIIe, ménageant ainsi une bonne surface de collage du côté de la caisse, et une finesse confortable pour la main gauche du musicien du côté du chevillier. L’assemblage du manche sur la caisse se fait par un joint « à vif », c’est-à-dire sans aucun emboîtement ; le collage est ensuite renforcé par l’implantation d’un long clou forgé. C’est à cette étape de l’œuvre que le luthier doit accorder toute son attention à la position du manche par rapport à la caisse sur laquelle sera collée la table d’harmonie ; il doit alors tenir compte des déformations qui ne manqueront pas d’apparaître lors de la mise en tension des cordes, et les compenser d’avance, pour obtenir un instrument facile à jouer. La table d’harmonie est ensuite choisie, le plus souvent dans un épicéa aux fibres très serrées. Bien souvent les tables étaient vendues avec des rosaces déjà découpées, mais il va sans dire que les luthiers préféraient mener à bien cette tâche délicate eux-mêmes lorsqu’ils faisaient des luths de belle qualité. La découpe de la rose se faisait « au canif », l’outil traditionnel du luthier, et selon un patron en papier collé à l’envers de la table. C’est par un coup de canif assez inimitable et d’une exceptionnelle sûreté que se sont distingués les meilleurs luthiers : Laux Maler et Hans Frei à Bologne (début XVIe siècle), Wendelinus Tieffenbrucker et Michielle Harton à Padoue (début XVIIe siècle), Magnus Dieffopruchar et Matteo Sellas à Venise (première moitié du XVIIe siècle), tous Allemands formés à Füssen en Bavière et émigrés en Italie où florissait le commerce du luth.
Enfin venait le moment de barrer la table d’harmonie, c’est-à-dire conférer à une mince planchette d’épicéa une rigidité capable de s’opposer à la pression des cordes. Des barres de faible hauteur étaient collées en travers de la table, déterminant par leur position la puissance et la richesse du son. Les barrages étaient évidemment un des principaux secrets des bons artisans, et non pas ceux des vernis comme on le prétend encore souvent de nos jours.
La dernière opération avant le vernissage, lequel pouvait intervenir plusieurs mois après l’achèvement, consistait à coller le chevalet sur la table d’harmonie. Encore un tour de force, car le chevalet est en même temps cordier (on y noue les cordes) et travaille par conséquent en « arrachement ». Or les chevalets anciens sont très étroits et supportent néanmoins plusieurs dizaines de kilogrammes de tension. La réussite de ce collage était donc conditionnée par un sérieux tour de main et une bonne habitude de l’emploi de la colle chaude. L’instrument était ensuite garni d’une plaque de touche, en bois fruitier jusqu’à la fin du XVIe siècle puis en ébène, et souvent fortement bombée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Restait ensuite à ajuster les chevilles dans les trous du chevillier. Les luths anciens étaient souvent signés au moyen d’une « marque au feu » que l’on apposait sur la table, à la naissance du manche ou encore sur la brague, pièce qui renforce le bas de la caisse à l’extérieur.
La famille des luths de la fin du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Michael Praetorius décrit dans son traité Syntagma Musicum  (1615-1620), six tailles de luths dont on peut penser que les longueurs de corde vibrante étaient comprises entre 90 centimètres pour le plus grand et 30 centimètres pour le plus petit. L’accord utilisé pendant tout le XVIe siècle et le début du XVIIe est composé de quatre quartes avec une tierce au milieu, que l’on appelait en France le « vieil ton ». Les chœurs (paires de cordes) graves étaient souvent doublés à l’octave. Le premier chœur pouvait être double ou simple (chanterelle).
Dès le début du XVIIe siècle, les luths s’augmentent de nouveaux chœurs dans le grave. Les manches s’élargissent et s’allongent car on cherche à donner de la clarté au son en allongeant les cordes. On voit alors s’ajouter la « poulie » sur le bord du chevillier pour tendre une première corde désormais simple (il en ira de même pour la seconde vers 1630-1640). Après une brève période à dix chœurs, pendant laquelle on commence à rechercher de nouvelles manières d’accorder, le luth se voit ajouter un onzième chœur et son accord se stabilise au « nouveau ton ». C’est vraisemblablement en Allemagne, vers 1720-1730, que l’on ajoutera au chevillier (côté grave) un « cavalier » permettant de porter à treize le nombre de chœurs. C’est probablement aussi durant cette période qu’apparaîtront les doubles chevilliers de style germanique rendant caduques poulies et cavaliers.
Les instruments dérivés du luth
Nos ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles étaient loin d’être unanimes sur les définitions qu’il convenait de donner des termes « théorbe », « archiluth », « chitarrone », « luth théorbé », et l’on est confronté de nos jours à un véritable imbroglio typologique. On comprendra aisément notre réserve à vouloir donner de chaque type une description univoque. Il nous semble d’ailleurs plus intéressant d’essayer de comprendre à quoi correspond l’apparition de ces « dérivés du luth ». Autrefois, le luth était monté entièrement de cordes de boyau dont le rendement est très satisfaisant dans l’aigu, beaucoup moins dans le grave. Lorsque le luth ne joue pas seul et qu’il se joint à d’autres instruments, ses graves risquent alors d’être couverts. Avec l’essor de la musique instrumentale d’ensemble, dans les dernières années du XVIe siècle, les musiciens et les luthiers mirent au point des luths dont les cordes graves étaient plus longues que les cordes aiguës ; le registre grave rendait ainsi un son plus puissant et surtout plus clair. Après avoir essayé d’allonger dans ce but la caisse du luth, ce qui rendait le jeu incommode, on se décida à donner une extension au chevillier, dans le prolongement du manche, solution aussi satisfaisante pour le son que pour le jeu, et qui fut rapidement adoptée. On trouve dès la fin du XVIe siècle différentes tailles de luths munis de doubles chevilliers, qui vont prendre le nom d’archiluth, ou luth théorbé en Italie, d’assez petite taille et accordé comme le luth courant, de théorbe, beaucoup plus grand, dont un texte anglais du début du XVIIIe siècle nous apprend qu’il existait un petit modèle pour jouer dans les pièces en solo et un plus grand pour l’accompagnement. Il semble qu’en France on le montait de préférence en boyau alors qu’en Italie ce sont les cordes métalliques qui dominaient (l’instrument s’appelait « chitarrone »). Il faut citer aussi l’angélique, qui ne semble pas avoir été très différente du théorbe, sur le plan morphologique, mais dont la particularité réside dans son accord : seize cordes simples accordées diatoniquement, d’où un nombre de chœurs impressionnant pour une étendue très restreinte. Ce type d’instrument fut donc très rapidement abandonné.
3. Rôle profane et rôle sacré
On sait peu de chose sur l’emploi du luth dans la musique au Moyen Âge. Cela tient d’abord au manque total de documents écrits, puisque la musique elle-même commençait seulement de se donner des règles graphiques. La notation musicale venait de naître et restait très imprécise. De plus, elle ne s’adressait qu’aux chants liturgiques, tropes ou séquences. Le choix des instruments était donc des plus arbitraires et, lorsqu’il s’agissait d’interpréter une pièce, un luth pouvait aussi bien prendre la place d’un rebec ou d’une flûte ; à cette époque, on grattait en effet les cordes au moyen d’un plectre. Ce faisant, on n’attaquait qu’une seule corde à la fois. Le jeu du luth était donc mélodique, comme celui de la plupart des instruments médiévaux.
Au Moyen Âge, le profane et le sacré divisent catégoriquement la musique. La partie profane se caractérise essentiellement par la musique de danse qui est jouée par de petits ensembles de trois ou quatre instruments, parmi lesquels figure le luth. L’absence d’harmonie est remplacée par la forme de la ritournelle : chaque instrumentiste reprend le thème de la danse à son tour, en le déformant suivant sa fantaisie et surtout selon sa mémoire puisqu’il n’existait aucune partition. Viennent ensuite les jongleurs et les ménestrels qui utilisaient le luth pour accompagner leurs chansons. Ici l’accompagnement se limitait à la paraphrase mélodique de la chanson. L’air de luth venait aussi entrecouper d’intermèdes les « gestes » et les « dits », qui étaient souvent interminablement longs. En fait, le luth ne jouait jamais le rôle de soliste au sens où on l’entend maintenant ; il restait toujours complémentaire d’une forme qui l’englobait.
Dans la musique sacrée, le rôle du luth fut tout différent et c’est là que se trouve l’origine de son développement. À l’époque où régnait la mélodie, c’est parmi les chants liturgiques, qui bénéficient des premières notations, qu’apparaissent les premières tentatives de polyphonie à deux ou troix voix. Comme on était encore loin d’être fixé sur la composition des timbres, il arrivait que l’on confiât à un luth l’exécution d’une des parties de la pièce polyphonique. Les voix des chanteurs se trouvaient alors soutenues et enrichies par un timbre instrumental. Et c’est dans ce genre d’ensemble que les luthistes prirent conscience à la fois du sentiment harmonique et des possibilités que leur offrait leur instrument. Dès lors, ils n’eurent de cesse d’adapter au luth seul ces chants à plusieurs voix ; c’est alors que l’on abandonna l’usage du plectre, car il devenait un obstacle au contrepoint, pour une nouvelle technique qui consistait à pincer les cordes avec les doigts, ce qui permettait de faire sonner plusieurs cordes simultanément.
4. À la recherche de l’accord
C’est là le phénomène le plus significatif et le plus important de l’histoire du luth. On ne peut dire exactement si c’est le luth qui conduisit à l’harmonie ou les premières polyphonies qui la suggérèrent aux luthistes ; toujours est-il que le luth est un des tout premiers instruments à s’engager dans la voie qui fut celle de la musique occidentale. Il s’agit là d’un phénomène de rupture comparable à celui que l’on rencontre dans les sciences : une pratique – en l’occurrence celle des luthistes dans la polyphonie vocale et dans les adaptations qu’ils en faisaient pour leur instrument – provoque la naissance d’une théorie qui fonde cette pratique. Les luthistes rompent avec la pensée mélodique horizontale et passent à la pensée harmonique verticale : ils ont découvert l’accord.
On ne saurait minimiser une telle découverte puisqu’en réalité elle est la base de la musique occidentale. Elle s’affirme très tôt. Et l’on sait que les luthistes du XVe siècle cultivaient déjà un art fort subtil puisque, en 1487, le théoricien flamand Johannes Tinctoris écrit avec admiration « qu’ils sont seuls à pouvoir jouer non seulement une ou deux voix, mais trois ou quatre en même temps, ce qui est fort difficile ».
Le XVe siècle a laissé quelques noms de luthistes de cour, mais, paradoxalement, aucune de leurs compositions : on n’écrit toujours pas la musique pour le luth. Les cours princières témoignent d’un vif intérêt pour cet instrument. Il est présent partout, dans toutes les classes de la société. Il apparaît même dans les scènes religieuses : il est représenté par Vittore Carpaccio dans la Présentation au temple  et par Francesco Francia qui le place aux pieds de la Madonna in trono . On attribue au luth des qualités toutes plus brillantes les unes que les autres. « C’est l’instrument des dieux. »
5. La tablature de luth
Le courant de la théorie harmonique amorcé entre autres par les luthistes au XIVe et au XVe siècle fut fondé en raison dans les premières années du XVIe siècle avec la diffusion d’un système de notation original et spécifique de l’instrument : la tablature.
Contrairement à l’écriture musicale moderne qui détermine des hauteurs de son, la tablature est une partition de doigtés qui indique, par des signes spéciaux, la place que doit prendre chaque doigt sur le manche de l’instrument. La tablature ne renseigne donc pas sur la nature de la musique, et l’on est contraint de la transcrire et de la jouer au luth pour la connaître.
Trois systèmes de tablature sont apparus à peu près simultanément en Allemagne, en Italie et en France. Le système allemand, qui aurait été inventé vers 1450 par Konrad Paumann, est d’une grande complexité. Il consiste à chiffrer systématiquement toutes les cases du manche, obligeant ainsi l’interprète à connaître par cœur environ cinquante-quatre lettres représentant chacune une case. La difficulté de lecture qui en découlait le fit très vite abandonner pour les systèmes français et italien, à la fois plus simples et surtout plus concrets. Dans ceux-ci, les six lignes de la tablature figurent les cordes, les lettres désignent les cases, le rythme étant indiqué au-dessus de l’ensemble par des hampes de note. Seules différences entre les deux systèmes : l’emploi de lettres pour les Français qui placent la corde aiguë en haut, tandis que les Italiens font l’inverse et notent en chiffres.
L’intérêt capital de la tablature est en premier lieu son caractère concret qui donne en une vision réaliste une sorte de synthèse entre la technique et la musique. En outre, comme le luth n’était pas accordé selon un diapason fixe, on évitait ainsi les problèmes de transposition.
L’avènement de la tablature se pose comme un événement unique dans l’histoire de la musique instrumentale. Elle constitue une tentative d’écriture musicale parallèle à la notation traditionnelle abstraite. Les luthistes entendirent révéler, par le système de la tablature, non seulement la musique elle-même, mais aussi les aspects techniques spécifiques du luth, que l’écriture en notes ne communique pas. On peut d’ailleurs se demander si, en d’autres circonstances, le système ne se serait pas étendu à tous les instruments puisqu’en fait l’orgue et la viole furent à l’origine notés en tablature. La tablature, dans son essence, présente un caractère spécialisé qui ne correspond guère à l’idéologie universaliste de la Renaissance ; ce qui expliquerait que la notation traditionnelle se soit généralisée, laissant la tablature aux seuls luthistes qui, dès lors, se trouvaient enfermés dans une sorte d’ésotérisme. L’expression « donner de la tablature » est d’ailleurs passée dans le langage pour exprimer le caractère impénétrable de quelque chose.
Un esprit créatif imprégna la vie musicale de tout le XVIe siècle pendant lequel le luth fut, socialement, l’instrument roi. Dès les premières publications de musique en tablature (Ottaviano Petrucci en 1507, à Venise), l’accord le plus fréquent apparaît : 4te, 4te, 3ce, 4te, 4te ; c’est le « vieil ton ». Dès lors, le luth s’affirmera dans une orientation intimiste, ne participant que très faiblement à la musique d’ensemble. Il devient l’instrument dont on joue seul, ou devant une compagnie restreinte. C’est alors l’avènement de la musique pure.
6. Le luth et les formes musicales
Cet aspect psychologique détermine profondément le caractère de la musique. La solitude du luthiste l’engage à la méditation et à l’invention.
Ses recherches déterminent trois formes essentielles qui dominent toute la littérature du luth. La plus proche de l’esprit solitaire des luthistes est la forme libre que caractérisent le ricercare , la fantaisie  et le prélude .
C’est dans ces pièces, très voisines de l’improvisation, que s’exerce le côté proprement méditatif du luthiste. Ricercare et fantaisie se signalent le plus souvent par leur qualité contrapuntique. Le compositeur s’essaie dans des formules harmoniques souvent inédites. Le prélude joint à une mélodie souvent proche de la rêverie un rythme très lâche, capable de se modeler à l’humeur et au sens de l’interprète. On a souvent dit du prélude que les luthistes l’inventèrent pour vérifier l’accord de l’instrument avant d’entamer un concert. C’est, en fait, bien plus à une mise en condition du luthiste et des auditeurs que s’adresse le prélude, plutôt qu’à la justesse de l’accord, l’oreille de la Renaissance, du fait du tempérament inégal, n’étant pas dressée comme la nôtre à l’exactitude des sons. Le luthiste, au contraire, aimait à préluder sur un thème en toute liberté, en exerçant traits de virtuosité et rapidité, afin de se dégourdir et de se mettre en train.
À l’opposé des pièces libres et de caractère didactique, les luthistes cultivèrent aussi les formes imposées, parmi lesquelles figurent en premier lieu les danses. Issues tout d’abord du répertoire chorégraphique du Moyen Âge, ces danses se renouvelèrent rapidement sous l’impulsion des luthistes, à la fois dans leur rythme et dans leur structure. Si les anciennes basses-danses, tout empreintes de la bonhomie médiévale, se retrouvent dans les premières tablatures françaises de Pierre Attaingnant (1529), c’est sous une forme entièrement nouvelle. Elles sont réunies par groupe de trois suivant une même mélodie et une tonalité unique. À une « basse-danse » fait suite une « recoupe » plus rapide, qui s’enchaîne sur un vif « tourdion ». Dès le recueil de l’Italien Petrucci (1507), le même phénomène se produit avec une cellule analogue : pavane – saltarello – piva. C’est à partir de ce cycle tripartite que les luthistes conçoivent la forme célèbre de la suite instrumentale. Très tôt, les recherches rythmiques étoffèrent la suite originale de trois danses ; il serait fastidieux de dresser ici la liste de toutes les nouvelles danses qu’inventèrent les luthistes, il faut néanmoins remarquer que leur imagination donna naissance à un grand nombre de rythmes nouveaux qui vinrent enrichir la chorégraphie. Parmi les plus caractéristiques, il faut mentionner l’allemande, pièce d’allure noble et modérée où s’exprime toute la sensibilité du luthiste ; la courante, plus vivante ; la sarabande, pièce lente et qu’une ligne mélodique dépouillée rend souvent mélancolique ; le menuet et la gavotte, d’un caractère joyeux et guilleret, et enfin la gigue, dont le rythme pointé est un engagement irrésistible à une danse sautée pleine de vigueur.
Toujours dans le domaine des formes imposées, il faut citer les adaptations au luth d’œuvres vocales polyphoniques. Nombre de grandes polyphonies sont transcrites pour luth seul avec une étonnante abondance de « diminutions », ou guirlandes de notes de passage qui, loin de s’expliquer par des impossibilités acoustiques ou mécaniques des luths, trouvent leur raison d’être dans le style de la musique de cette époque, c’est-à-dire dans la volonté des luthistes-compositeurs de prendre les modèles vocaux comme prétexte à une création ornementale originale. La curiosité harmonique des luthistes est toujours aussi vivante qu’au Moyen Âge, et elle les pousse à s’intéresser à tout le répertoire vocal de la Renaissance. Les chansons, les frottoles, les madrigaux sont « empruntés » chez Clément Janequin, Agricola, Ockeghem, Andrea Gabrieli. Les compositeurs choisissent aussi, parmi les œuvres liturgiques, des fragments de messe de Josquin Des Prés, ou même de Giovanni Pierluigi da Palestrina, lequel, dit-on, composait ses messes directement au luth. Le motet intéresse également les luthistes qui se livrent à de difficiles transcriptions d’œuvres de Heinrich Isaac comportant jusqu’à six voix.
Le luth est aussi utilisé comme instrument d’accompagnement dans les airs de cour  ; le terme apparaît pour la première fois dans le livre d’Adrian Le Roy en 1571. Au début, réductions pour voix et luth de polyphonies à trois ou quatre parties, ils s’émanciperont pour devenir de véritables fantaisies comme le montrent certains « ayres » de John Dowland (In this Trembling Shadow Cast, I Saw my Lady Weep , ca.1600). Plus tard, ce seront des mélodies accompagnées d’abord au luth, comme en témoignent les nombreux recueils d’airs de Gabriel Bataille, Antoine Bœsset, Étienne Moulinié (1600 à 1640), puis au théorbe avec les airs de Michel Lambert, Bénigne de Bacilly (1640 à 1670) ; mais ici, les accompagnements ne seront plus notés en tablature mais sous forme de basse chiffrée .
Les luthistes participent intensément aux recherches des grands théoriciens comme Giuseppe Zarlino ou Vincenzo Galilei. En 1567, Giacomo Gorzanis écrit pour le luth une série de pass’e mezzi e saltarelli  dans les vingt-quatre tons de l’échelle tempérée.
Si le luth est par excellence l’instrument de la solitude, cela n’empêche nullement les luthistes de faire vivre pleinement leur art en l’intégrant à la vie musicale en général. Les rythmes, l’harmonie et les formes de la musique s’en trouvent profondément marqués. Les luthistes, par l’originalité et la force de leur style, préparent les développements de la musique instrumentale occidentale.
7. L’évolution de la technique et du goût
Pendant la première moitié du XVIIe siècle, la vogue du luth ne faiblit point. Le courant amorcé au Moyen Âge et élargi pendant le XVIe siècle se poursuit en se raffinant, parallèlement aux idéaux courtois et précieux. L’instrument est devenu un critère social, un moyen de valorisation personnelle. La bonne éducation ne se conçoit pas sans l’apprentissage du luth, et l’on va même jusqu’à intriguer pour s’assurer l’enseignement d’un luthiste de renom. Acquérir les bonnes grâces d’un « maître » devient chose nécessaire : en effet, les virtuoses cachent jalousement les finesses de leur technique. À ce niveau se développe un certain ésotérisme qui tend à faire du luthiste professionnel une sorte de maître initiateur, ce qui ne va pas sans évoquer le goût marqué des précieux pour l’occultisme. Mais c’est l’âge des corporations, et en particulier de la ménestrandise. Les musiciens, au même titre que les compagnons maçons ou tailleurs de pierre, pratiquent le secret de leur technique. Les titres de recueils publiés à l’époque sont d’ailleurs significatifs : Le Secret des Muses  (Nicolas Vallet, 1618), le Thesaurus harmonicus  (Jean-Baptiste Besard, 1603), le Trésor d’Orphée  (Antoine Francisque, 1600). C’est précisément au début du XVIIe siècle que la technique de l’instrument se bouleverse : la position de la main droite dans l’axe des cordes, héritage du jeu médiéval au plectre, va être abandonnée au profit d’une position qui met les doigts perpendiculaires aux cordes, ce qui permet au pouce d’aller pincer dans le grave les chœurs de plus en plus nombreux.
En accord avec la sensibilité et la délicatesse de ce siècle, les recherches des luthistes s’orientent vers l’ornementation . Leur réflexion est marquée par deux soucis permanents : la brièveté et la qualité des sons produits. À l’opposé des instruments mélodiques comme le violon ou la flûte, pour lesquels se pose essentiellement le problème de l’attaque, l’entretien du son n’étant pratiquement pas limité, le luth accumule les difficultés : il faut attaquer et en plus trouver le moyen d’entretenir le son en lui conservant sa qualité. Les luthistes apportent deux solutions entièrement nouvelles : le trille qui consiste à marteler rapidement une corde avec un doigt de la main gauche, et le vibrato par lequel le son est relancé par un mouvement latéral de la main. Dans les deux cas, la note jouée, par les différences tensions que subit la corde, s’étend facilement aux commas supérieurs et inférieurs, ce qui donne au son un aspect dynamique et vivant inimitable. La qualité de ces techniques les fit adopter par la plupart des autres instruments.
À l’âge baroque, l’art du luth influence les couches sociales les plus diverses. On en vient ainsi à appeler « luthiers » des artisans qui fabriquent n’importe quel instrument de musique.
Mais, dès 1640, le luth entre en décadence. Avant d’invoquer l’argument de la faiblesse du son qui aurait rendu le luth inapte à s’intégrer au courant nouveau de la musique concertante, il convient surtout de mentionner un profond changement dans la sensibilité et dans la mentalité musicales. Le goût pour la musique intimiste, pour l’instrument seul, fait place à celui de la musique d’ensemble, c’est-à-dire à une conception nouvelle de l’expression qui se diversifie dans le mélange des timbres et prend une ampleur jusqu’alors inconnue dans l’augmentation de la masse sonore.
La décadence puis la disparition du luth est donc en relation étroite avec une transformation fondamentale des conditions de la vie musicale et en premier lieu de la fonction sociale de la musique. Néanmoins, le luth se maintiendra jusqu’au XVIIIe siècle mais en abandonnant sa place initiale de soliste pour s’adapter à la musique concertante et réaliser, aux côtés des violes, la partie de basse continue. À partir de ce moment, l’instrument se banalise et se révèle incapable de rivaliser avec le clavecin d’accompagnement.
Dès 1620, le groupe fameux des « Vingt-Quatre Violons du roi » commence de se produire à Paris dans une salle de concert. Le succès de cet orchestre, le premier en date, révèle d’ailleurs l’importance du changement intervenu dans le rôle social de la musique.
8. Les compositeurs
C’est sans aucun doute en Italie que la musique de luth trouve le plus large développement. C’est d’ailleurs à Venise que furent imprimées les premières tablatures. Beaucoup de formes, comme les danses et la forme libre de la fantaisie, y prirent naissance. Paradoxalement, c’est aussi le pays où le luth fut le plus vite abandonné, mais seulement après le passage de grands luthistes, tels que le « divin » Francesco da Milano (1497-1563) dont la renommée fut internationale ; Joanambrozio Dalza (début XVIe s.), Antonio Terzi et Simone Molinaro (fin XVIe s.), Vincenzo Galilei furent aussi des maîtres de l’école italienne, qui se caractérisa toujours par une étonnante puissance d’invention. L’art du luth s’éteindra avec les œuvres pour archiluth et pour chitarrone d’Alessandro Piccinini (1623) et Girolamo Kapsberger (1640), qui tous deux développent déjà la nouvelle esthétique des « affetti » qui s’épanouira chez Girolamo Frescobaldi.
L’influence italienne pénétra profondément la génération des musiciens espagnols de la Renaissance. Mais en Espagne, c’est pour la vihuela  que l’on compose. Il s’agit d’un curieux instrument à mi-chemin entre la guitare et le luth et qui, tout en ayant une forme identique à celle de la guitare, n’en conserve pas moins le cordage et l’accord du luth. Les vihuelistes écrivent d’ailleurs en tablature italienne. Don Luis Milán (env. 1500-env. 1560), Alonso Mudarra (1580-?), Luis de Narváez (1500-?) suivent le courant italien et s’en écartent seulement en innovant la forme de la variation.
En France, la Renaissance fut, elle aussi, dominée par la musique italienne. C’est surtout Albert de Rippe, originaire de Mantoue et musicien attitré de François Ier, et Adrian Le Roy luthiste, pédagogue et éditeur qui s’imposent, par la prodigalité et la qualité de leurs œuvres. En fait, la période la plus brillante de l’école française se situe dans le premier quart du XVIIe siècle. Le père Mersenne écrit dans son Harmonie universelle  qu’en France « le luth est dans une telle perfection qu’on néglige tous les autres instruments ». René Mézangau (?-1653) et le « Vieux Gaultier » (1585 env.-1651) conçoivent le fameux « style brisé » ; ils sont suivis par de nombreux disciples, comme Dufaut, les Dubut et les Gallot.
En Angleterre, la musique de luth est largement dominée par John Dowland, qui compose aussi pour la viole en consort . Il faut également citer le musicien et théoricien Thomas Morley qui publie en 1599 un recueil de broken consorts , c’est-à-dire des concerts pour instruments variés où vont se trouver mêlés un dessus de viole, une flûte traversière basse, une basse de viole, un cistre, une pandore et un luth, dont la partie très ornée est d’une grande difficulté. C’est le premier exemple de musique de chambre destinée à des instruments précis. Mais le luth semble avoir été délaissé tôt dans le XVIIe siècle, et Thomas Mace en publiant son grand traité de luth, le Musick’s Monument , en 1676, semble le regretter.
Oublié dès les premières années du XVIIIe siècle en France et en Angleterre, le luth poursuivra sa carrière en Allemagne. Malheureusement, sa musique n’aura plus l’originalité qu’avaient su lui donner les maîtres des époques antérieures. Sylvius Leopold Weiss (1686-1750) écrit de nombreuses suites pour luth dans un goût virtuose et souvent adroit ; quant à Johann Sebastian Bach, il ne semble pas avoir manifesté beaucoup d’intérêt pour cet instrument, laissant à ses élèves le soin d’adapter certaines de ses œuvres et surtout d’en écrire, comme ces deux concertos pour luth et cordes de Johann Ludwig Krebs. Contemporain de Joseph Haydn, Karl Kohaut et Johann Kropffgans représentent ce que l’on pourrait appeler l’école « viennoise ». Dans un style galant, jusque-là inconnu au luth, ces derniers luthistes pousseront aussi loin que possible la technique de l’instrument en laissant un vaste répertoire de musique de chambre avec luth.
En résumé, l’art des luthistes est à plus d’un titre à l’origine de la musique occidentale classique. D’un point de vue formel d’abord, puisque la suite instrumentale reste l’archétype de l’opposition des rythmes qui s’est étendue aux mouvements des sonates, des concertos et même des symphonies. Ensuite la fantaisie née sur le luth reste la première méditation musicale en date, et cela fut une ouverture d’une importance extraordinaire pour l’avènement d’une musique pensée par opposition à une musique spontanée. D’un point de vue stylistique, l’invention de nombreux ornements propres aux luthistes détermine profondément toutes les écoles de clavecin du XVIIe siècle et, plus près de nous, la conception même de l’ornementation dans son acception la plus générale. Enfin, l’apport théorique de la musique pour luth s’impose au premier plan dans l’avènement de l’harmonie occidentale. Les recherches contemporaines sur cet instrument – le C.N.R.S. a, par exemple, entrepris la publication d’un Corpus des luthistes français  – sont donc extrêmement « actuelles » en dépit de leur apparence archéologique, et la musicologie a beaucoup à gagner dans cette perspective. Le luth est réapparu dans les concerts de musique ancienne (des solistes comme Julian Bream, Desmond Dupré, Konrad Ragossnig, Hopkinson Smith ont contribué à ce renouveau), et un certain nombre de conservatoires ont réinstitué pour lui des classes d’études. Les compositeurs le redécouvriront peut-être.


MANDORE ET MANDOLINE

Petit luth du XVIe siècle, de quatre à huit doubles-cordes, à manche court, à caisse piriforme, à fond bombé et à côtes, la mandore est plus allongée que le luth ; elle a le cheviller recourbé en avant et qui se termine souvent par une tête d’animal. Certaines mandores possèdent quatre cordes de boyau et six de métal. On se sert parfois d’une plume comme plectre. Les cordes sont accordées en quintes. La mandore est un instrument rarement employé aujourd’hui, sauf dans les ensembles de musique ancienne. On rencontre aussi les graphies : mandole  et mandille .
La mandoline est une petite mandole, comme l’étymologie le suggère. Ses quatre doubles-cordes métalliques, accordées à l’octave aiguë de la mandole, reproduisent exactement l’accord de celles du violon. On les joue avec un plectre d’écaille appelé médiator ou penna. Le son de la mandoline est plein, puissant et clair, et le trémolo qu’il rend est caractéristique. La touche comporte de petits sillets et le cheviller, creux, s’incline légèrement vers l’arrière. Dès la fin du XVe siècle, cet instrument, sorte de soprano de la famille des luths, fut fort répandu en Europe. En Italie, aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux types régionaux fleurirent, possédant soit une caisse bombée (type luth), soit une caisse plate (type guitare), sur laquelle étaient tendues de quatre à huit doubles-cordes; il y eut aussi des mandolines à cordes simples. La mandoline milanaise possède six cordes simples accordées en tierces et en quartes. Milan, Gênes, Florence, Naples surtout, avec la dynastie des Venaccia, furent les lieux les plus célèbres de la facture italienne.
La mandoline fut l’instrument populaire indispensable de la sérénade amoureuse. C’est notamment dans ce genre que la littérature musicale offre quelques pages renommées. Citons seulement, en musique classique, la sérénade du Don Juan  de Mozart, celle du Barbier de Séville  de Paisiello, celle encore de L’Amant jaloux  de Grétry, et plus près de nous celle de Louise  de Charpentier. La mandoline apparaît aussi au début du XVIIIe siècle, en Italie, dans la musique de chambre, la musique concertante ou l’orchestration des œuvres lyriques. En 1704, Antonio Bononcini fait alterner théorbe et mandoline pour concerter avec un chanteur, dans Teraspo overo l’Innocenza giustificata . En 1707, un air de Marte placato  d’Attilio Ariosti (1666-env. 1740) est uniquement accompagné par la basse continue et une mandoline; l’année précédente, Francesco Conti (1682-1732) lui donnait une ritournelle à exécuter en solo dans son oratorio Il Gioseffo . C’est cependant avec Vivaldi (1740), toujours à l’affût des nouveautés instrumentales, que la mandoline acquiert droit de cité comme instrument de concerto; le premier, il compose des concertos pour une et pour deux mandolines et il confie à l’instrument soliste des traits de virtuosité décidés : gammes et triolets en mouvement rapide, trémolos... Dans son oratorio Juditha triumphans , l’air de Judith, «Transit aetas», l’un des plus fameux de l’œuvre, est accompagné à la mandoline. À Mozart, nous devons deux lieder allemands avec accompagnement de mandoline: Die Zufriedenheit , K. 349 et Komm, liebe Zither , K. 351. Beethoven écrivit en 1796 deux pages pour mandoline et piano : Sonatine et adagio , Sonatine et thème varié . À une époque plus proche de nous, c’est après Mahler (Septième Symphonie ), et surtout après Schönberg (Sérénade , op. 24, 1923) que la mandoline apparaît de plus en plus souvent dans des formations instrumentales, où les compositeurs apprécient ses qualités sonores particulières qui la différencient des autres cordes.