Le Rebab : Exploration d'une Famille Globale d'Instruments à Cordes
I. Introduction : Le Rebab - Une Famille Globale d'Instruments à Cordes
A. Définir le Rebab : Étymologie et Concept Fondamental (Cordophone)
Le terme "rebab", avec ses nombreuses variantes orthographiques (rabāb, rubab, rebap, robab, etc.), désigne une famille diversifiée d'instruments à cordes, ou cordophones, disséminés à travers de vastes régions géographiques. L'origine du nom est généralement attribuée à l'arabe ربابة (rabāba) , souvent associé au jeu à l'archet, bien que le terme ait pu historiquement s'appliquer de manière plus large aux instruments à cordes. Les premières mentions écrites de cet instrument remontent aux VIIIe-Xe siècles.
Le principal défi de classification réside dans le fait que ce nom englobe à la fois des vièles jouées à l'archet et des luths joués en pinçant les cordes. Ce rapport abordera ces deux lignées distinctes tout en clarifiant leurs différences fondamentales.
B. Classifications Primaires : Traditions à Archet vs. Cordes Pincées
Deux grandes catégories d'instruments coexistent sous l'appellation "rebab" :
Le Rebab à Archet : Souvent décrit comme une "vièle à pique" (spike fiddle), il se caractérise typiquement par une petite caisse de résonance, généralement arrondie ou cylindrique, traversée par un long manche qui se prolonge souvent par une pique à la base pour reposer sur le sol. Il possède habituellement une, deux ou trois cordes et est souvent dépourvu de touche. Il est considéré comme l'un des plus anciens instruments à archet connus. Sa sonorité est parfois décrite comme proche de la voix humaine.
Le Rebab/Rubab à Cordes Pincées : Il s'agit généralement d'un luth à manche court, dont la caisse, souvent en forme de bateau, de poire ou à double renflement, est sculptée dans le bois (le mûrier est fréquemment utilisé). La table d'harmonie est constituée d'une peau tendue. Il comporte des cordes mélodiques, des cordes de bourdon et, très souvent, de nombreuses cordes sympathiques qui vibrent par résonance. Cet instrument est joué à l'aide d'un plectre. Des exemples notables incluent le Rubab afghan et le Seni Rebab indien.
L'utilisation du même terme racine "rabab" pour des instruments organologiquement aussi distincts soulève une question intéressante. Si la racine arabe commune suggère un ancêtre ou un point de diffusion partagé, la réalité actuelle montre une divergence marquée. Des sources anciennes, comme Al-Farabi (IXe-Xe siècles), décrivent un instrument nommé "rabab" qui s'apparente davantage à un luth pincé de type tanbur. D'autres sources anciennes insistent sur le rôle du rabāb à archet comme ancêtre des instruments européens. Le terme s'est largement répandu via les routes commerciales et culturelles islamiques. Il est probable que dans différentes régions, le nom se soit attaché à l'instrument à cordes local prédominant, ou que des instruments existants aient été adaptés et renommés, menant à cette divergence. Ainsi, le nom "rebab" témoigne davantage d'un parcours historique et culturel commun (la sphère d'influence islamique) que d'un type organologique constant à travers toutes les régions aujourd'hui. Cette complexité nécessite une différenciation attentive tout au long de ce rapport.
C. Importance Historique : Rôle Ancestral et Diffusion Mondiale
L'ancienneté du rebab et son rôle en tant que précurseur d'autres instruments sont largement reconnus. Le rebab à archet est considéré comme l'ancêtre du rebec médiéval européen et de la lyra byzantine. De son côté, le rubab (luth pincé) est l'ancêtre direct du sarod indien.
Sa diffusion s'est opérée principalement via les routes commerciales islamiques, touchant l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l'Asie Centrale, l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est et certaines parties de l'Europe. Cette large dissémination a jeté les bases d'une riche diversité de formes et de fonctions musicales.
II. Tracer les Voies : Histoire et Diffusion du Rebab
A. Origines : Exploration des Racines Moyen-Orientales, Persanes et Centre-Asiatiques
L'origine précise du rebab fait l'objet de discussions. Les premières mentions apparaissent dans des textes arabes du Xe siècle (selon l'historien Henry George Farmer) et des sources persanes (notamment Al-Farabi, IXe-Xe siècles). Certaines traditions attribuent l'origine de la vièle à archet au monde arabe , tandis que d'autres mettent en avant des origines persanes ou centre-asiatiques/afghanes pour le luth pincé (rubab).
Des preuves archéologiques, comme un rubab iranien du XIIIe siècle et des représentations d'instruments similaires dans l'Empire Kouchan (Ier-IIIe siècles) , témoignent de son ancienneté dans ces régions. L'instrument est également associé à la région historique du Khorasan, qui incluait l'Afghanistan actuel. L'idée que le rebab à archet s'est développé au sein de la culture musulmane est également avancée. Cette multiplicité de pistes suggère une histoire complexe, potentiellement avec des développements parallèles ou des influences réciproques entre différentes régions dès les premiers siècles de l'Islam.
B. Mécanismes de Diffusion : Routes Commerciales Islamiques et Échanges Culturels
Le rôle des réseaux commerciaux et culturels islamiques a été fondamental dans la dissémination du rebab sur plusieurs continents. Ces routes ont facilité non seulement le transport des biens, mais aussi la circulation des idées, des technologies et des formes artistiques, y compris les instruments de musique.
Des exemples spécifiques de cette transmission sont documentés : le passage du rebab du Yémen vers l'Égypte rurale par la tribu des Salim , son arrivée en Asie du Sud-Est (Java, Malaisie, Indonésie) parallèlement à l'expansion de l'Islam , et son introduction en Espagne par les Arabes (Maures) au XIe siècle. Cette dernière introduction a eu un impact significatif sur le développement ultérieur des instruments à archet européens.
C. Portée Mondiale et Adaptation : Transformation à Travers les Cultures
La diffusion du rebab n'a pas été un simple processus de copie. Au contraire, elle a impliqué une adaptation et une transformation considérables de l'instrument en fonction des matériaux locaux disponibles, des préférences esthétiques régionales et des fonctions musicales spécifiques.
Cela a conduit au développement de variantes régionales distinctes, qui seront détaillées dans la section suivante. Il est intéressant de noter que, malgré sa large diffusion, le rebab a connu des fortunes diverses. Dans une grande partie du monde arabe, il a été progressivement remplacé par le violon et le kemenche, en partie à cause de sa tessiture limitée. De même, en Turquie ottomane, sa popularité dans la musique séculière a décliné au XVIIIe siècle avec l'arrivée de la viole d'amour européenne. En revanche, il a conservé un statut élevé et un rôle central dans le gamelan javanais et est reconnu comme instrument national en Afghanistan.
Ce processus de diffusion peut être compris comme un phénomène de divergence active. L'instrument (ou son nom et son concept) a voyagé le long de routes établies. À son arrivée dans de nouvelles régions, les artisans locaux ont utilisé les matériaux disponibles (coque de noix de coco , bois de mûrier , diverses peaux ). L'instrument a ensuite été intégré dans des ensembles musicaux existants (gamelan , musique arabo-andalouse , Mak Yong ) ou utilisé pour des fonctions culturelles spécifiques (narration épique , rituels de guérison , musique soufie ). Ces facteurs ont entraîné des modifications de taille, de forme, de nombre de cordes et de technique de jeu, aboutissant à la grande variété d'instruments que nous connaissons aujourd'hui (par exemple, en comparant les rebabs javanais , afghan , nord-africain , malais et turc ). Par conséquent, la "diffusion" a été simultanément un processus de "ramification" et de spécialisation locale, créant une riche mosaïque d'instruments sous une même appellation.
III. Portraits Régionaux : Manifestations du Rebab à Travers le Monde
L'extraordinaire voyage du rebab à travers les continents a donné naissance à une multitude de formes et de traditions musicales. Cette section explore les caractéristiques spécifiques des variantes régionales les plus notables.
A. Le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord
Cette vaste région, berceau présumé de l'instrument, abrite plusieurs formes distinctes de rebab, principalement de type vièle à archet.
1. Le Rabāb Arabe (Bédouin/Égyptien) :
Noms locaux : Rabāb, Rabābah. Rebab égyptien.
Description physique : Souvent une vièle à pique. La caisse peut être rectangulaire (chez les Bédouins ) ou fabriquée à partir d'une demi-noix de coco (bien que les détails spécifiques pour l'Égypte manquent dans certaines sources ). Il possède généralement une, deux ou trois cordes , parfois en crin de cheval. Il est joué avec un archet et tenu verticalement, reposant sur le sol ou les genoux du musicien. Sa tessiture est limitée (un peu plus d'une octave). Une variante irakienne, la jawza ou joza, possède quatre cordes.
Technique de jeu : Joué à l'archet. Les cordes sont arrêtées par les doigts du musicien, souvent sans l'aide d'une touche.
Rôle et contexte culturel : Instrument prééminent dans la musique arabe médiévale. Il est encore largement utilisé dans la musique bédouine. En Égypte rurale et ailleurs, il accompagne traditionnellement les chanteurs et les narrateurs d'épopées populaires (comme celles d'Antara, Al Zir Salim, Abu Zeid Al Hilali) lors de célébrations (Mawlids, fêtes soufies, nuits de Ramadan) et d'événements publics comme les mariages. Dans certaines régions, il a été progressivement supplanté par le violon ou le kemenche.
2. Le Rebab Maghrébin (Afrique du Nord - Maroc/Algérie) :
Noms locaux : Rebab, Rebab Andaluz. Parfois classé comme une variante à cordes pincées , mais les exemples de musées sont clairement des instruments à archet.
Description physique : La caisse de résonance a typiquement une forme de bateau ("boat-shaped"). Il possède deux cordes et est dépourvu de frettes. Les matériaux incluent le bois, le parchemin et le métal, et l'instrument peut être orné d'incrustations d'ivoire. Il est tenu horizontalement sur le corps du musicien, le chevillier contre l'épaule gauche et le cordier sur le genou droit. Un exemple mesure environ 75 cm de long.
Technique de jeu : Joué à l'archet.
Rôle et contexte culturel : Utilisé exclusivement pour accompagner le chant, jamais en solo. Il joue un rôle important dans la musique arabo-andalouse , bien que sa fonction précise nécessite des recherches plus approfondies. Cet instrument aurait été introduit en Afrique du Nord par les Maures expulsés d'Andalousie au XVe siècle. Il est encore joué au Maroc.
3. Le Rebab Turc / Kemânçe :
Noms locaux : Rebab, Kemânçe (le terme Kemânçe vient du persan signifiant "petit archet" ou "petit instrument à archet").
Description physique : Appartient à la famille des vièles à pique. Historiquement, la caisse sphérique était souvent faite d'une coque de noix de coco, et la table d'harmonie en peau de poisson (silure) ou en péricarde de bœuf. Il existait des variantes à deux ou trois cordes. Le rebab turc moderne est décrit comme ayant trois cordes (aujourd'hui en acier, autrefois en boyau ou crin), une caisse en noix de coco et une table en cuir. Une autre source décrit un rebab à trois cordes où seule la corde aiguë est utilisée pour la mélodie, les autres servant de bourdons ou pour la résonance sympathique.
Technique de jeu : Joué à l'archet.
Rôle et contexte culturel : C'était le seul instrument à archet utilisé dans la musique turque jusqu'au XVIIIe siècle. Très populaire dans la musique religieuse-mystique (notamment chez les Soufis Mevlevi, où il était appelé 'rebab' et tenait une place quasi sacrée) ainsi que dans la musique séculière. Son usage dans la musique séculière a décliné avec l'adoption de la viole d'amour européenne. Malgré des tentatives de le remettre en usage aux XIXe et XXe siècles, celles-ci échouèrent. Il survit principalement dans les loges Mevlevi.
4. Le Rebab / Rubab Persan :
Noms locaux : Rebab, Rubab.
Description physique : Les premières descriptions (Al-Farabi) évoquent un luth pincé ressemblant au tanbur. Les versions iraniennes peuvent être de grande taille, avec une tessiture comparable à la viole de gambe. Le Rubab persan moderne est un luth pincé à manche court, avec une caisse à double chambre, trois cordes principales (accordées en quartes), quatre frettes, des cordes de bourdon et jusqu'à quinze cordes sympathiques. Il est fabriqué en bois de mûrier avec une table en peau animale. Il existe aussi un lien avec le Kemânçe à archet. Une peinture du XVIe siècle montre un rubab avec une caisse en forme de 8.
Technique de jeu : Principalement pincé. Le Kemânçe à archet est également important dans la tradition persane.
Rôle et contexte culturel : Instrument d'une grande importance historique. Utilisé dans la musique traditionnelle persane, apprécié pour ses sonorités graves. Aujourd'hui, il est souvent considéré comme un instrument local de la province du Sistan et Baloutchistan. L'art de sa fabrication et de son jeu en Iran (ainsi qu'en Afghanistan, Tadjikistan et Ouzbékistan) est inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l'UNESCO.
B. Asie Centrale et Asie du Sud
Cette région est dominée par la tradition du rubab, le luth pincé, qui a atteint un haut degré de sophistication et revêt une importance culturelle majeure.
1. Le Rubab Afghan (Kabuli Rubab) :
Noms locaux : Rubab, Robab, Kabuli Rebab.
Description physique : Instrument de type luth pincé. C'est l'instrument national de l'Afghanistan, surnommé le "lion des instruments". La caisse est sculptée dans une seule pièce de bois de mûrier, formant une chambre de résonance creuse recouverte d'une peau animale (souvent de chèvre). Il possède trois cordes mélodiques principales (en nylon, accordées en quartes), deux ou trois longues cordes de bourdon (en acier), deux courtes cordes de bourdon (en acier) et jusqu'à quinze cordes sympathiques. Le manche est fretté. Il existe en différentes tailles (petit, moyen, grand) qui influencent le nombre de cordes. Son apparence diffère légèrement de celle du rubab indien.
Technique de jeu : Les cordes sont pincées à l'aide d'un plectre (appelé shabaz en pachto ou mezrab en persan). Des techniques de glissando (slide) sont possibles.
Rôle et contexte culturel : Élément central de la musique classique afghane. Également utilisé dans la musique folklorique pachtoune et baloutche et dans la musique dévotionnelle soufie. Il est considéré comme l'ancêtre du sarod indien. Joué en Afghanistan, au Pakistan, dans certaines parties de l'Inde, en Iran et en Asie Centrale. L'art de sa fabrication et de son jeu est inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l'UNESCO.
2. Le Seni Rebab / Rubab Indien/Pakistanais :
Noms locaux : Seni Rebab, Seniya Rabab, Rubab, Rabab.
Description physique : Instrument à cordes pincées utilisé dans le nord de l'Inde. Son développement (ou sa popularisation) est attribué au célèbre musicien Mian Tansen (XVIe siècle, cour de l'empereur moghol Akbar). Il est plus grand et a un manche plus long que le rubab afghan. La caisse de résonance est recouverte de peau, la touche est en bois, les cordes étaient à l'origine en boyau, Tansen y aurait ajouté des cordes sympathiques en métal. Il possède un grand crochet à l'arrière du chevillier, facilitant son transport à l'épaule. Il a influencé le développement du sarod. Le 'Firandia' rabab était une variante pendjabie utilisée aux débuts du sikhisme.
Technique de jeu : Cordes pincées.
Rôle et contexte culturel : Utilisé dans la musique classique hindoustanie (style Dhrupad) et dans la musique religieuse sikhe (Shabad Kirtan) – il fut l'instrument de Bhai Mardana, compagnon de Guru Nanak. Joué par différentes castes à l'époque moghole. Largement remplacé par le sarod et le sursingar, bien que des efforts de revitalisation existent. Joué par les Pachtounes, Baloutches, Sindhis, Cachemiris et Pendjabis au Pakistan et en Inde.
3. Le Rubab Pamiri Tadjik :
Noms locaux : Rubab-i-pamir, Rubab Pamiri.
Description physique : Variante originaire du Tadjikistan. La caisse et le manche sont moins profonds que ceux du rubab afghan. Il possède six cordes en boyau, dont une est attachée à mi-chemin sur le manche, de manière similaire à la 5ème corde du banjo américain.
Technique de jeu : Pincé (implicite par sa parenté avec les autres rubabs centre-asiatiques).
Rôle et contexte culturel : Variante régionale d'Asie Centrale. Fait partie de l'inscription au Patrimoine Culturel Immatériel de l'UNESCO.
4. Le Rawap Ouïghour (Xinjiang, Chine) :
Noms locaux : Rawap.
Description physique : Trouvé dans la région du Xinjiang en Chine, joué par les Ouïghours, Ouzbeks et Tadjiks. Partage des similitudes avec les styles afghan et indien mais possède des caractéristiques distinctes. Luth à long manche (implicite).
Technique de jeu : Pincé (implicite).
Rôle et contexte culturel : Instrument populaire au sein des communautés ouïghoure, ouzbèke et tadjike du Xinjiang.
C. Asie du Sud-Est
En Asie du Sud-Est, le rebab, principalement sous sa forme à archet, s'est intégré de manière unique dans les ensembles et les pratiques culturelles locales, notamment en Indonésie et en Malaisie.
1. Le Rebab Indonésien (Javanais/Balinais) :
Noms locaux : Rebab.
Description physique : Vièle à pique jouée à l'archet. Utilisé dans les ensembles gamelan javanais et balinais. Le rebab javanais possède une caisse de résonance triangulaire en bois (menthak), une table en parchemin (intestin de buffle, babat), souvent recouverte d'un tissu décoratif (dodot). Une pique métallique traverse la caisse, maintenue par des supports en bois tourné (popor). Il a un pied court, un long manche lisse (watangan), un chevillier orné (irah-irahan) avec deux longues chevilles (mangol). Il est monté de deux cordes en cuivre (kawat) passant sur un haut chevalet en bois (srenten). La longueur vibrante des cordes est d'environ 41 cm (16.2 pouces). La caisse peut être en bois richement sculpté ou, historiquement, en coque de noix de coco. Le rebab balinais est utilisé dans les gamelans Gambuh, Gong Kebyar, etc..
Technique de jeu : Joué avec un archet en crin de cheval (kosok). Tenu verticalement. Les doigts de la main gauche appuient légèrement sur les cordes sans les presser contre le manche. L'instrument n'a pas de hauteur fixe (sauf pour les cordes à vide) et sa tessiture est d'environ 2,5 octaves.
Rôle et contexte culturel : Instrument mélodique principal (pamurba lagu) dans le gamelan javanais, guidant l'ensemble. Sa sonorité est considérée comme la plus proche de la voix chantée javanaise. Le joueur de rebab doit posséder une connaissance approfondie du répertoire (gendhing) et jouit d'un statut musical élevé. C'était l'un des rares instruments du gamelan traditionnellement jugés acceptables pour les femmes. Les cordes sont parfois appelées 'mâle' et 'femelle'. À Bali, il fait partie de l'ensemble mais n'est généralement pas le leader principal comme à Java ; son placement est souvent déterminé par des considérations esthétiques. Mentionné dans des textes javanais historiques. Son introduction est souvent liée à l'influence islamique après le XVe siècle , bien que certains plaident pour des origines indigènes. Il apparaît dans le symbolisme hindouiste (associé à la déesse Saraswati).
2. Le Rebab Malaisien (Kelantan) :
Noms locaux : Rebab, Rebab Tiga Tali (rebab à trois cordes).
Description physique : Apparence significativement différente des autres rebabs régionaux. Cordophone vertical à trois cordes. Les trois cordes sont en cuivre (accordées Si♭, Fa, Do) et reposent sur un chevalet placé sur une peau d'intestin de buffle tendue sur la caisse (souvent en bois de jacquier). Une caractéristique unique est la boule de cire d'abeille placée près du chevalet pour atténuer la réverbération. Il possède trois chevilles (telinga) et une tête décorative amovible (kepala). Longueur totale d'environ 101 cm.
Technique de jeu : Joué à l'archet (crin de cheval, env. 76 cm de long). Tenu verticalement, comme un violoncelle.
Rôle et contexte culturel : Instrument traditionnel important dans les États de Kelantan et du nord de Terengganu. Principal instrument d'accompagnement dans la musique traditionnelle de la côte Est de la Malaisie péninsulaire. Essentiel dans le théâtre dansé Mak Yong (inscrit au Patrimoine Immatériel de l'UNESCO) , le rituel de guérison Main Puteri , et la forme narrative Tarik Selampit. Il est considéré comme ayant une intensité et une autonomie remarquables dans le Mak Yong. Son usage a décliné dans d'autres États malaisiens comme Kedah. Sa diffusion en Asie du Sud-Est est liée aux routes islamiques, avec une possible influence de l'erhu chinois.
L'examen des rebabs indonésien et malaisien révèle une spécialisation fonctionnelle remarquable. Bien qu'issus probablement d'un ancêtre commun (vièle à pique moyen-orientale/persane arrivée par les routes commerciales ), ces instruments ont évolué différemment. À Java, le rebab s'est intégré à la structure complexe du gamelan, assumant le rôle crucial de leader mélodique, guidant l'ensemble et imitant les lignes vocales, ce qui a conféré un statut élevé à ses musiciens. Sa forme est devenue très ornée. Au Kelantan, en Malaisie, le rebab est devenu l'instrument central de formes rituelles et théâtrales spécifiques (Mak Yong, Main Puteri) ayant de fortes fonctions spirituelles ou narratives. Sa forme physique a également divergé (trois cordes, sourdine en cire). Cela démontre qu'à son arrivée, l'instrument n'a pas seulement été adopté mais fondamentalement intégré et remodelé pour répondre aux exigences uniques des formes artistiques locales préexistantes ou en développement, conduisant à une spécialisation fonctionnelle et morphologique poussée.
IV. Perspectives Comparatives : Unité et Diversité
La famille des instruments appelés "rebab" présente une diversité frappante, tant dans la forme que dans la fonction. Cette section vise à synthétiser ces variations pour mieux appréhender l'unité sous-jacente et la richesse des adaptations locales.
A. Morphologies Contrastées : Vièles à Pique, Luths, Formes de Bateau et Matériaux
Trois formes principales se distinguent :
Vièles à Pique : La forme la plus répandue pour les rebabs à archet, commune au Moyen-Orient, en Turquie et en Asie du Sud-Est. Elles se caractérisent par un manche traversant ou attaché à une petite caisse de résonance (souvent ronde, parfois en noix de coco ou en bois ) avec une table en peau.
Vièles en Forme de Bateau : Typiques de l'Afrique du Nord (Maghreb/Andalou). Elles se distinguent également par leur posture de jeu.
Luths Pincés à Manche Court : Prédominants en Asie Centrale et du Sud (Rubab afghan, Seni Rebab indien). Ils possèdent une caisse en bois sculpté (souvent du mûrier), une table en peau et fréquemment des cordes sympathiques.
La diversité des matériaux utilisés est également notable : différents types de bois (mûrier , jacquier , autres ), la coque de noix de coco , des composants métalliques , diverses peaux ou parchemins (intestin de buffle , peau de chèvre , peau de mouton , estomac de vache , péricarde de bœuf ), et une variété de matériaux pour les cordes (boyau , crin de cheval , métal/cuivre/acier , nylon ).
B. Techniques Divergentes : Jeu à l'Archet vs. Pincement, Postures de Jeu
Les techniques de jeu varient fondamentalement entre le jeu à l'archet et le pincement des cordes. Pour les instruments à archet, la posture diffère : tenue verticale pour les vièles à pique , tenue horizontale sur le corps pour les formes en bateau nord-africaines. Les instruments à cordes pincées sont joués à l'aide d'un plectre.
Les techniques de modification de la hauteur des sons varient également. De nombreuses vièles à archet anciennes ou traditionnelles n'ont pas de touche, et les doigts appuient directement sur les cordes (comme à Java, avec une pression légère , ou dans les premières formes de rabāb ). À l'inverse, les luths pincés comme le rubab afghan ou persan possèdent des manches frettés.
C. Variété Fonctionnelle : De la Direction du Gamelan à l'Accompagnement Folklorique
Le rôle musical et culturel du rebab est tout aussi diversifié que sa forme. Il peut être :
Un leader mélodique guidant un grand ensemble (Gamelan javanais ).
Un instrument essentiel pour l'ornementation et l'élaboration mélodique (Indonésie ).
Un accompagnateur de la voix chantée (Afrique du Nord , Égypte ).
L'instrument privilégié pour la narration d'épopées folkloriques (Égypte ).
La pièce maîtresse de traditions de musique classique (Afghanistan ).
Un instrument central dans des rituels ou des formes théâtrales spécifiques (Malaisie ).
Un instrument important dans la musique dévotionnelle soufie (Turquie , Asie Centrale/Sud ).
D. Tableau Comparatif : Vue d'Ensemble des Principales Variantes du Rebab
Pour synthétiser cette diversité, le tableau suivant présente une comparaison des caractéristiques clés de plusieurs variantes régionales majeures abordées précédemment. Ce format permet une visualisation directe des similitudes et des différences, soulignant la complexité et la richesse de la famille des instruments rebab.
* M = Cordes Mélodiques, B = Cordes Bourdon, S = Cordes Sympathiques
V. La Résonance du Rebab : Influence et Parenté Instrumentale
Au-delà de sa propre diversité, la famille du rebab a joué un rôle crucial dans l'histoire de la musique mondiale en influençant le développement d'autres instruments à cordes majeurs, tant en Europe qu'en Asie.
A. Descendants Européens : Le Rebec et la Lyra
Le lien entre le rabāb arabe à archet et le rebec médiéval européen est largement accepté par les musicologues, bien que certains aspects restent débattus. Cette influence se serait exercée par deux voies principales :
Via l'Espagne : L'introduction du rabāb en forme de bateau par les Arabes en Espagne au XIe siècle aurait conduit au développement du rebec. Le rebec, typiquement piriforme (en forme de poire) avec une caisse bombée ("bowl back") et trois cordes accordées en quintes, est devenu un instrument populaire du Moyen Âge à la Renaissance.
Via l'Empire Byzantin : Une variété de rabāb en forme de poire aurait été adoptée dans l'Empire Byzantin dès le IXe siècle sous le nom de lira. Cette lira byzantine, également un instrument à archet, est considérée comme un autre ancêtre important des instruments à archet européens, y compris potentiellement la vièle médiévale. Des descendants modernes de la lira, comme la lyra crétoise, la gadulka bulgare et la lijerica croate, sont encore joués aujourd'hui.
B. Progéniture Sud-Asiatique : La Lignée du Sarod
En Asie du Sud, le rubab (luth pincé) a donné naissance à l'un des instruments les plus emblématiques de la musique classique hindoustanie : le sarod. Cette évolution est souvent liée à la migration de musiciens afghans (comme ceux de la tribu Bangash) vers l'Inde moghole.
Le rubab afghan ou le Seni Rebab indien ont été progressivement modifiés pour mieux s'adapter aux exigences esthétiques de la musique indienne, notamment la capacité à produire des glissandi continus (meend) entre les notes. Les principales modifications ont inclus le remplacement de la touche en bois (parfois frettée) par une plaque métallique lisse et sans frettes, ainsi que l'utilisation de cordes métalliques. Le sursingar, un autre instrument dérivé du rebab, est également considéré comme un maillon important dans cette chaîne évolutive.
C. Connexions à Travers l'Asie et le Moyen-Orient
L'influence du rebab ne s'arrête pas là. D'autres parentés instrumentales peuvent être tracées :
Asie du Sud-Est : Des vièles à pique apparentées existent, comme le Saw Sam Sai thaïlandais et le Tro Khmer cambodgien.
Chine : Des liens possibles existent avec la famille des vièles chinoises huqin (dont l'erhu est le représentant le plus connu), également des instruments à archet souvent à pique.
Asie Centrale : Des instruments comme le kobyz (Kirghizistan), le morin khuur (Mongolie), le byzaanchy et l'igil (Touva) partagent des caractéristiques avec les vièles à pique.
Moyen-Orient/Perse/Turquie : Le lien étroit avec le Kemânçe (instrument à archet souvent à pique) est fondamental dans ces traditions.
L'introduction d'instruments de la famille du rebab dans de nouveaux contextes culturels a fréquemment agi comme un catalyseur pour l'innovation organologique. L'instrument arrivant était confronté aux pratiques musicales locales. Les musiciens et luthiers ont reconnu son potentiel mais aussi ses limites par rapport à leurs propres esthétiques (par exemple, le besoin de notes tenues et de glissandi dans la musique indienne , ou des préférences tonales différentes en Europe). Cela a stimulé l'expérimentation et la modification : changement des formes de caisse, des matériaux, du nombre et du type de cordes (ajout de cordes sympathiques, usage du métal), suppression des frettes ou ajout de touches spécifiques. Avec le temps, ces adaptations ont donné naissance à des instruments nouveaux et distincts comme le rebec, la lyra, le sarod et le sursingar, qui, bien que descendants du rebab, sont devenus des entités centrales de leurs propres traditions musicales. Le rebab n'a donc pas seulement été un instrument importé, mais un véritable stimulant pour la créativité et l'évolution organologique locale.
VI. Conclusion : Synthèse de la Tapisserie Mondiale du Rebab
A. Récapitulation de l'Identité Multifacette de l'Instrument
L'exploration des diverses formes du rebab à travers le monde révèle une histoire riche et complexe. Le nom lui-même, d'origine arabe, unit sous une même bannière une famille d'instruments présentant une divergence fondamentale entre les vièles jouées à l'archet (souvent de type "spike fiddle" ou en forme de bateau) et les luths à cordes pincées. Cette vaste diffusion géographique, principalement facilitée par les routes commerciales et culturelles islamiques, a entraîné une extraordinaire diversification des formes, des matériaux, des techniques de jeu et des fonctions musicales. La nomenclature partagée masque ainsi une réalité organologique extrêmement variée, témoignant d'un processus continu d'adaptation et d'innovation locales.
B. Importance Durable à Travers les Cultures
Malgré cette diversité, et parfois son déclin dans certaines régions face à des instruments plus modernes, le rebab (sous ses différentes formes) conserve une importance culturelle significative dans de nombreuses sociétés. Son rôle s'étend de l'accompagnement modeste de chants folkloriques ou de rituels de guérison à celui d'instrument soliste virtuose dans des traditions de musique classique savante. Il peut être un pilier d'ensembles orchestraux complexes comme le gamelan javanais , un véhicule essentiel pour la transmission d'épopées et de récits, un support à la dévotion mystique, ou encore un symbole puissant d'identité nationale, comme c'est le cas pour le rubab en Afghanistan. La reconnaissance récente par l'UNESCO de l'art de la fabrication et du jeu du rubab dans plusieurs pays d'Asie Centrale et du Sud-Ouest souligne la valeur patrimoniale vivante attachée à cet instrument.
C. Le Nom Rebab : Un Fil Conducteur à Travers la Diversité
En définitive, bien que les instruments eux-mêmes soient incroyablement divers, le nom partagé "rebab" (et ses variantes) agit comme un marqueur historique. Il trace les chemins des interactions culturelles, de l'adaptation et de l'innovation musicale qui se sont déroulés sur des siècles et des continents, principalement au sein de la sphère d'influence islamique et au-delà. L'histoire du rebab est celle d'une connexion transnationale, d'une transformation constante et du pouvoir durable de la musique à façonner et à exprimer l'identité culturelle. C'est une famille d'instruments dont la richesse réside précisément dans sa capacité à s'être métamorphosée tout en conservant un écho de ses origines communes.
Sources des citations
1. Rebab - Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Rebab
2. Rebab - Organology, https://organology.net/instrument/rebab/
3. Rebab Instrument: The Enchanting Bowing Instrument of the Middle East and Asia, https://goldenscissors.info/rebab-the-enchanting-bowing-instrument-of-the-middle-east-and-asia/
4. REBAB Definition & Meaning - Merriam-Webster, https://www.merriam-webster.com/dictionary/rebab 5. Rebab | dubsahara - WordPress.com, https://dubsahara.wordpress.com/oriental/instruments/stringed/rebab/
6. R*bab - MusicBrainz Wiki, https://wiki.musicbrainz.org/R*bab
7. Rabab | Description, History, & Facts | Britannica, https://www.britannica.com/art/rabab
8. Rubab (instrument) - Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Rubab_(instrument)
9. Rabab instrument; What Iran is known for, https://iranpress.com/rabab-instrument-what-iran-is-known-for
10. UNESCO Recognizes Rubab as Cultural Heritage for Afghanistan & Neighbors - Reddit, https://www.reddit.com/r/Afghan/comments/1h8jrwy/unesco_recognizes_rubab_as_cultural_heritage_for/
11. Origin and development of the rabab : Kuckertz, Josef : Free Download, Borrow, and Streaming - Internet Archive, https://archive.org/details/dli.ministry.18231
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31. All About Rebab Instrument - Sala Muzik, https://salamuzik.com/blogs/news/all-about-rebab-instrument
32. Turkish Rebab - Karoryfer Samples, https://shop.karoryfer.com/products/turkish-rebab
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