La musique instrumentale au Moyen-Âge se limite presque exclusivement à la transcription d'œuvres vocales existantes, comme par exemple les motets ou les chansons.
Les jongleurs, par contre jouent sur leurs instruments des danses comme : l'estampie ou la danse royale.
Il arrive que deux danses, l'une en rythme binaire et l'autre en rythme ternaire, soient enchaînées. Cette pratique sera à l'origine d'une forme qui deviendra plus tard, à la période baroque, « la suite ».
Les débuts de la musique instrumentale
Les instruments de musique sont connus depuis la haute antiquité. A la fin du 12ème siècle, c’est un art plusieurs fois millénaire. Cependant on ne sait rien de la musique instrumentale antique. Nous n’avons que les instruments de musique (souvent des percussions et des vents dont les trous ont permis de retrouver les échelles utilisées à cette époque). Ainsi on sait qu’en Mésopotamie, avant Jésus Christ, on utilisait déjà la gamme heptatonique.
C’est vraiment au 13ème siècle que commence les travaux véritables de musicologie et d’histoire de la musique car c’est à partir de cette date que les manuscrits se prolifèrent (sans être détruits car conservés en lieu sûr…). Mais les manuscrits ne sont pas les seules sources.
Les sources de la musique instrumentale au moyen-âge :
1°) Les arts plastiques :
De très nombreux documents attestent la pratique d’une musique instrumentale au moyen-âge. C’est la cas par exemple, des miniatures, des enluminures et peintures diverses.
L’étude de l’iconographie musicale est cependant très délicate car les représentations ne sont pas toujours très réaliste. Et c’est pas parce qu’on voit deux instruments ensembles sur une même peinture qu’ils jouaient forcément ensemble…
2°) Les chroniqueurs :
Les chroniqueurs seront vite frappés par certains aspect de la musique…
a) Ekkehard IV (vers 980, 1060) :
Il est un moine de Saint-Gall (époque à laquelle on écrivit des tropes). Il écrit notamment une chronique de son monastère (« Casus Monasterii Sancti Galli ») qui fourmille d’invraisemblances et d’anachronismes mais il essaye d’y donner des informations musicales. Il cite le moine Tuotilo (poète-musicien auteur de tropes) en disant qu’il maîtrise toutes sortes d’instruments et qu’il en enseigne la pratique aux enfants.
b) Robert Wace (1120, 1180) :
C’est un poète-trouvère anglo-normand qui énumère des instruments dans ses écrits. Les documents littéraires sont là aussi pour rendre compte de la pratique instrumentale. En 1150, Wace décrit les lais joués aux violes, harpes, rotes, cornemuses, cloches et bombardes. Dans les chansons de geste de nombreuses mentions d’instruments peuvent être relevées.
c) Guillaume de Machaut (vers 1300, 1377) :
C’est un musicien-poète qui énumère beaucoup d’instruments de son époque, et en particulier dans ses deux ouvrages : « Le Remède de Fortune » (vers 3960 à 3986) et « La Prise d’Alexandrie » (vers 1140 à 1177).
Machaut les cite et les classe même par catégorie : cordes, vents et percussions.
Cf. l’ouvrage de Armand MACHABEY, « Guillaume de Machaut », Paris : R. Masse, 1955, Tome 2, p. 135.
La terminologie est très riche à cette époque et l’art instrumental est déjà bien développé.
3°) Les théoriciens :
Les théoriciens parleront aussi des instruments de musique en usage dans leurs traités.
a) Jean de Garlande :
Origine anglaise. Enseigne la musique à Paris. En 1229, il est appelé à l’université de Toulouse.
Il dit : « les mélodies instrumentales sont beaucoup plus mobiles que les mélodies vocales ».
b) Jérôme de Moravie :
Il a laissé un « Tractus de musica » (1272-1304) qui est une sorte d’encyclopédie du savoir faire musical et qui est destiné aux étudiants parisiens. Il y décrit le rebec à 2 cordes et la viole à 5 cordes.
c) Jean de Grouchy (vers 1255, vers 1320) :
Il fait la transition entre l’ars antiqua et l’ars nova. C’est l’époque du Roman de Fauvel et des premiers ordinaires mis en musique (Messe de Tournai).
Il a laissé un ouvrage intitulé « De Musica » dans lequel il place l’art instrumental au centre des préoccupations. Il s’intéresse à la pratique de la vièle.
Grouchy cite trois formes instrumentales : stantipes, ductia et nota. D’autres théoriciens mentionnent encore le caribus ou garip, dont on ne connaît, cependant, que le nom.
Ce Johannes de Grocheo, en 1274, recommande : colat [cantor] instrumenta sonora (= laisser le chanteur utiliser des instruments sonores). Il dit aussi, avec un théoricien anonyme, que des préludes et postludes se jouaient entre les versets des romans. Il les appelle modus.
4°) Les manuscrits :
Les premiers documents de musique instrumentale remontent au 13ème siècle. Mais ils sont encore relativement rares à cette époque. On trouve plus facilement des documents sur la musique vocale.
Le manuscrit de musique vocal est constitué pour une chapelle et il est précieusement conservé dans les bibliothèques des chanoines.
Le manuscrit de musique instrumental est, au contraire, le vade-mecum du musicien : on ne le conserve pas. Beaucoup sont détruits… car le répertoire change, vieillit, passe de mode.
Les sources instrumentales sont donc rares et c’est jamais pour un instrument particulier (on ne mentionne pas le nom de l’instrument qui doit jouer).
Ainsi la musique instrumentale reste parcimonieuse, à l’apanage des ménestrels, jongleurs, et, est très liée à l’improvisation et à la mémoire. Et elle reste aussi liée au rites païens, aux orgies…
Cependant on va très vite transcrire des pièces vocales aux instruments…
L’estampie :
1°) Définition :
C’est une danse très en vogue dans l’Europe courtoise du 12ème siècle au 14ème siècle.
Son étymologie serait : du latin « stantipes » (on retrouve le mot pes sui signifie pied ou pas) qui viendrai lui-même du germanique « stampjan » (= frapper).
C’est donc bien une mélodie à danser, sans parole, mais c’est aussi genre poétique qui appelait à la danse.
L’estampie est de caractère aimable et rythmique : accompagnée du battement des pieds ou du frappement des mains.
Dans les Leys d’Amors, on dit que l’estampie peut être accompagnée ou non de parole.
Jean de Grouchy, dans « Theoria », dit : « Le stantipes est une composition musicale sans texte, ayant une progression mélodique difficile… et déterminé par des points… A cause de sa difficulté, il occupe extrêmement l’esprit de l’exécutant et celui de l’auditeur, et souvent, il distrait l’esprit des riches de mauvaises pensées ».
2°) La forme :
Une estampie est formée de plusieurs sections appelées puncta (pluriel de punctum).
Grouchy : « Quant aux points [= puncta], c’est une suite bien ordonnée de concordances qui, montant et descendant, font une mélodie ».
Le point est formé de deux parties qui au commencement sont semblables entre elles puis dissemblables à la fin. C’est ce que l’on appelle généralement le clos et l’ouvert.
La forme en serait donc : AA’ BB’ CC’… (A est ouvert, A’ est clos ; AA’ = 1 punctum) qui n’est pas sans rappeler la forme de la séquence.
L’estampie comporte 6, 7 ou 8 points. Elle se distingue donc des autres danses comme la ductia ou la nota (ou notule) qui en comportent respectivement 3 et 4.
3°) Le langage :
Contrairement à la séquence, l’estampie, la ductie et la note ne sont pas soumises aux règles de la modalité. Car la modalité ne s’applique qu’à la musique vocale.
Le rythme est quant à lui très accusé (souvent ternaire d’ailleurs).
4°) Les exemples :
a) « Kalenda maya » de R. de Vaqueiras (vers 1190) :
C’est la plus ancienne estampie qui soit connue. Cette estampie comporte curieusement des paroles : ce texte fut improvisé en chantant par le troubadour provençal Raimbaut de Vaqueiras (vers 1150-1207) qui venait d’entendre la mélodie d’une estampie instrumentale interprétée par deux jongleurs s’accompagnant sur une vielle (c’est ce qu’affirme la razo).
Cette estampie est composée de 3 puncta : donc pour être exact il s’agit d’une ductie.
La pièce est dans un mode d’ut (c’est le mode majeur) : nous ne sommes pas dans le cadre de l’octoechos médiéval. Par contre, on est bien dans le système de l’hexacorde (on a pas de syllabe pour le si donc on le solmise fa…).
Le mode rythmique utilisé est le premier (= mode trochaïque).
b) Le chansonnier du roi :
Ce manuscrit a appartenu à Mazarin et il contient des interpolations du début du 14ème siècle.
On y trouve 8 estampies royales, un fragment d’estampie et une danse royale (en 3 points).
L’estampie royale est en 7 points (avec ouvert et clos assez peu différents). Les débuts des puncta sont différents or les fins des puncta sont identiques (on peut donc y voir une forme à couplet-refrain ou les couplets seraient le début des puncta et le refrain la fin). On note aussi une modalité pentatonique par endroits.
c) Le manuscrit Harley :
• C’est une ductia en 6 points donc c’est en fait une estampie (on voit donc qu’il y a un imbroglio terminologique).
• Il y a une mise en polyphonie : on a 2 voix et la mélodie principale se trouve à la voix inférieure.
• Les puncta 4, 5 et 6 reprennent les puncta 1, 2 et 3.
• On peut considéré que les 3 premiers puncta forment un grand ouvert et que les 3 derniers forment un grand clos… C’est donc une forme très élaborée.
• La pièce a un caractère majeur (mode d’ut).
• La vox organalis (voix organale ou duplum [c’est à dire la voix ajoutée]) est en concordance avec la voix principale. Sur chaque appui rythmique on a une consonance parfaite (ailleurs on a des consonances imparfaites ou même des dissonances).
• Les phrases closes sont plus riches en tierce que les phrases ouvertes : c’est donc une sorte d’ornementation harmonique.
• La carrure de la danse est très marquée.
• La pièce est dans le style du conduit (verticalité).
• C’est une ductia en 2 points : donc c’est une nota plutôt…
• Carrure très marquée.
• Caractère majeur.
d) Le manuscrit 29987 de la British Library :
Ce manuscrit contient des pièces italiennes. Les pièces prennent des titres poétiques (Tre Fontane, Principo di virtu). Ce sont des compositions très travaillées et étendues, avec des rimes musicales, des rythmes complexes.
Il y a 4 saltarello, 1 trotto et 2 danses lente : Lamento di Tristano et La Manfredina (qui sont toutes les deux suivies d’une rota). Ces deux danses lentes sont d’un intérêt particulier puisqu’elle développent toutes les deux le rythme de la polonaise :
• Tous les ouverts sont semblables, de même que les clos.
• Il y a 4 puncta.
• C’est une estampie en 3 points (donc une ductie).
• Tous les ouverts sont identiques, de même que les clos (sauf le 2ème clos qui est un peu varié).
• Mode de ré (= 1er mode) : signe de complexification.
• La carrure est moins évidente qu’ailleurs : il s’agit peut-être de la première musique de concert, à écouter et donc non destinée à la danse.
• La rotta qui suit est une sorte de variation, de double du lamento.
• C’est donc un embryon lointain de la future suite car on y a trouve l’unité thématique et l’opposition rythmique.
Ce Lamento di Tristano est en mode de ré : c’est n’est plus un art de jongleur, de ménestrel mais un art plus savant, plus composé.
Boccace nous dit que les italiens écoutaient les danses. On a aussi le témoignage d’un concert avec estampie sur la vièle servant de prélude à une canzone.
La musique instrumentale devient donc l’art d’une société raffiné, non populaire.
Source : Universalis
ESTAMPIE
Avec l’estampie apparaît, aux XIIIe et XIVe siècles, la première musique instrumentale indépendante de paroles préexistantes ; il s’agit probablement d’un genre inspiré par les musiques à danser, nées en France, et qui se développa tout particulièrement en Angleterre ; l’estampie passa également en Italie (istanpida ou balletto). Jean de Grouchy (alias Johannes de Grocheo) énumère, au début du XIVe siècle, les trois formes instrumentales suivantes : l’estampie (stampites), la ductia et la nota. Comme danse, l’estampie aurait été, selon lui, difficile à exécuter, « ce qui suffi[sait] à éloigner de la jeunesse les pensées mauvaises ». L’estampie a inauguré la théorie et la pratique d’une notion musicale très féconde : celle de l’ouvert et du clos. On répète une même phrase, mais en concluant différemment, d’abord par une cadence suspensive (a), ensuite par une cadence conclusive (a’). La section aa’ est appelée punctum. L’estampie différait de la ductia et de la nota par un plus grand nombre de sections, ou puncta (de 4 à 7 au lieu de 3 ou 4) ; dans la ductia, en outre, on scandait la mesure avec une percussion. Une telle forme (aa’ , bb’ , cc’ ...) dérive directement de la séquence. Par ailleurs, comme les lais étaient soit chantés, soit uniquement joués, chaque fois qu’on en jouait un, on avait affaire à une estampie (avec la différence que le texte sous-entendu avait été composé avant la musique). Enfin, sur la musique préexistant à une estampie, il était toujours possible d’écrire des paroles. Ce fut le cas notamment du Kalenda Maya, une des plus anciennes estampies connues, dont le texte fut improvisé en chantant par le troubadour provençal Raimbaut de Vaqueiras (1150 env.-1207) qui venait d’entendre la mélodie d’une estampie instrumentale interprétée par deux jongleurs s’accompagnant sur une vielle.
L’art instrumental apparaît donc très différent de l’art vocal : plus simple, fondé sur la répétition de formules mélodiques. On note l’utilisation des modes rythmiques. L’invention est assez limitée. Il y a une nette tendance à la carrure. Et le mode majeur est très fréquent.
Il fallut tout de même attendre le développement de la musique profane, jongleurs, ménestrels et troubadours, pour que les instruments de musique acquièrent de l’importance. Jusqu’au 16è siècle, néanmoins, les instrumentistes ne disposèrent pas d’un répertoire. La plus part du temps, il accompagnaient le chant, assuraient préludes, interludes et postludes. Leur partie était rarement notée. D’une façon générale, un compositeur se souciait peu de l’accompagnement.
Les instruments étaient distingués en « haults » (c’est à dire bruyants, propres aux défilés, fanfares…) et « bas » (c’est à dire propre aux concerts donnés dans l’intimité). Il n’était pas rare d’utiliser en même temps plusieurs instruments. Mais ces associations semblent avoir relevé du hasard et des disponibilités, le concept d’orchestre étant ignoré.