Atom Heart Mother - L’œuvre et son organisation


L’œuvre et ses composantes : éléments constitutifs et leur organisation, unité et diversité, stratégies pour l'écoute, formes et structures.

L’œuvre et son codage : libertés et contraintes, traditions/conventions/originalités, représentations visuelles et réalités auditives.

© E. Michon

Les termes marqués d’un astérisque sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de chaque section.


1. Introduction – Father’s shout


Les premières mesures sont le fait de l’unique Ron Geesin. Elles s’ouvrent sur un bourdon* à l’orgue en mi grave auquel s’adjoignent des cuivres en quintes à vide*, proposant une grande variété timbrale. Le matériau sonore se densifie progressivement, par augmentation des nuances et de l’instrumentarium. Cette première section figure le chaos originel dans lequel baigne l’œuvre, et qui trouvera sa résolution à l’exposition du thème.

L’écriture homorythmique* conduit en effet à un véritable climax* sonore qui se libère dans l’énoncé du thème principal par les cors. Le caractère épique de ce motif est renforcé par le pont* bruitiste fait de hennissements et d’explosions qui mène à la seconde exposition du thème, à l’identique.


Glossaire

Bourdon : Son ou accord dans une tessiture grave vibrant sur une même note tout au long d’une section musicale. On retrouve ce procédé musical à la base de la musique celtique (la cornemuse brodant une mélodie sur un bourdon).

Quinte à vide : Accord parfait privé de sa tierce (ex. : do-sol). Dans la musique savante occidentale, il a traditionnellement pour effet de suggérer des paysages étranges ou menaçants, des échos fantomatiques (Symphonie n°3 de Mahler, scène de l’orage dansRigoletto...).

Homorythmie : Concordance rythmique note à note des différentes parties.

Climax : Point culminant d’une section musicale, chargé d’une tension destinée à se libérer dans la suite de la partition.

Pont : Passage musical, souvent assez bref, faisant office de transition entre deux sections principales d’une pièce (couplet-refrain dans une chanson populaire, thème n°1 — thème n°2 dans la forme sonate...).



2. Breast milky


Cette section au caractère plus élégiaque est bâtie sur un enchaînement harmonique assez sinueux (tonalités éloignées les unes des autres) à partir du mi mineur qui ouvre et clôt l’exposition thématique. Comme la partie précédente, elle est régie par le principe de progression vers un climax : le tissu sonore s’étoffe peu à peu avec le chorus de guitare puis les entrées successives des cuivres, des chœurs et du piano. La boucle harmonique de base, sur laquelle chante le violoncelle une première fois au début de la section, est répétée à l’identique ; ce sont les figures d’accompagnement qui évoluent progressivement (l’orgue par exemple tient de longs accords accentuant l’aspect « planant » suggéré par la partie de guitare slide*).

Notons enfin le soin apporté à la partie de violoncelle, qui culmine en son centre par un bref sommet expressif avant de s’apaiser par la diminution de valeurs progressive d’un petit motif de trois notes.


Glossaire

Slide : Technique guitaristique consistant à faire glisser les doigts d’une frette à l’autre pour jouer deux notes legato (de façon liée). Le terme peut aussi désigner une manière d’accentuer une note en l’attaquant légèrement par au-dessus ou en-dessous.


3. Mother fore


C’est là encore l’accord de mi mineur qui fait office de transition entre deux sections. Celle-ci bénéficie d’une grande stabilité harmonique qui lui confère son caractère éthéré. L’orgue se contente d’un accompagnement répétitif créant une nappe sonore au-dessus de laquelle sont tissées des broderies vocales qui vont se complexifiant par entrées progressives des différents pupitres. Les premières altérations* apparaissent lors des premières mesures chantées par les altos, et la partie vocale croît en intensité et en complexité jusqu’à un sommet expressif rayonnant qui libère les tensions harmoniques accumulées. La section s’achève à nouveau sur cet accord de mi mineur qui sert de pivot harmonique à une grande partie de la pièce.


Glossaire

Altération : Modification de la hauteur attendue d’une note dans un but expressif.



4. Funky dung



Cette section nettement pulsée renoue avec l’inspiration traditionnelle de Pink Floyd, le blues. L’accompagnement fait preuve d’une grande simplicité : un modeste riff* de basse auquel s’ajoutent des accords (sol mineur 7 et do 7 essentiellement) plaqués à l’orgue. David Gilmour offre alors un des premiers véritables solos de guitare de la discographie de Pink Floyd. Ses marques de fabrique y sont déjà bien présentes : usage du bend*, motifs courts en dialogue avec les autres instrumentistes. Ce chorus de guitare et celui de piano qui lui fait suite sont construits sur une gamme pentatonique*.

Quelques notes longuement soutenues à l’orgue Farfisa* et le retour du bourdonnement des cors annoncent une seconde sous-section dans laquelle les chœurs jouent à nouveau un rôle primordial. Contrairement à la section précédente, l’écriture vocale est homorythmique, d’où une sensation de dynamisme contrastant avec le chœur de Mother fore. Sa culmination héroïque ouvre la réexposition du thème cuivré de la première section.


Glossaire

Riff : Contraction de “rhythmic figure”. Il s’agit d’un court motif musical joué tout au long d’un morceau, particulièrement par la section rythmique.

Bend : Technique guitaristique consistant à tirer sur une corde perpendiculairement au manche pour modifier légèrement la hauteur du son.

Gamme pentatonique : Échelle de cinq sons ne contenant aucun intervalle de demi-ton (par exemple, dans Funky dung, sol - si bémol - do - ré - fa). Les compositeurs de musique savante occidentale l’ont souvent employée pour figurer des musiques extra-européennes (Puccini dans Turandot, Dvořák dans son Quatuor à cordes n°12 « Américain », Bartók dans Le mandarin merveilleux...)

Farfisa : Facteur italien d’orgues électroniques et de synthétiseurs. Ses instruments étaient très prisés des groupes de rock psychédélique et progressif à la fin des années 1960 en raison de leur grande richesse timbrale.



5. Mind your throats please



Cette section d’inspiration bruitiste est un ajout postérieur à la composition et l’enregistrement du morceau. Elle a été obtenue principalement par déformation de sons émis par l’orgue (en particulier des clusters*) ou le Mellotron*, des échantillonnages de prises de son antérieures ou de sons préenregistrés (par exemple le cri d’un train à vapeur qui clôt la section).


Glossaire

Cluster : Accord comprenant au moins trois notes adjacentes (par exemple : do - do dièse - ré). On parle aussi d’agrégat, ou de « grappe sonore » (traduction littérale du terme anglais).

Mellotron : Instrument à clavier dont chaque touche commande la lecture d’une bande magnétique préenregistrée. Il s’agit donc d’un échantillonneur (ou sampler), très en cour parmi les groupes de rock progressif.


6. Remergence


Cette section s’ouvre sur de brèves réminiscences des différents thèmes ou motifs ayant jalonné la pièce jusqu’alors. Le thème cuivré initial est réexposé, mais différemment que dans Father’s shout. Les cuivres claironnent héroïquement, de façon plus grandiose encore que dans les premières mesures du morceau. Le thème du violoncelle de Breast milky est repris à l’identique, mais soutenu par les cuivres très effacés. Le chorus qui le suivait dans la première partie de la pièce est triplé dans un contrepoint de guitares slidées. Vient alors la coda* finale tonitruante, qui convoque tous les interprètes et reprend le motif cuivré. Plutôt que de s’achever sur l’accord de mi mineur qui sous-tend toute la pièce, la musique s’achève sur un mi majeur triomphant.


Glossaire

Coda : Passage conclusif d’une section musicale, qui en musique savante a vocation à reprendre et synthétiser les thèmes principaux de celle-ci.