Qu’est-ce que le jazz ?
mai 28, 2019
Apparus au grand jour à partir de la fin du 19ème siècle, principalement dans le sud des Etats-Unis, le negro spiritual, le blues et le ragtime constituent trois formes authentiques de la musique afro-américaine et dessinent les premières fondations du jazz.
Ces trois grands courants musicaux, le spiritual, le blues et le ragtime, vont converger à la fin du 19ème siècle pour donner naissance au jazz.
Le jazz, est apparu aux États-Unis vers la fin du 19ème siècle, résulte d’un brassage de différents styles et de différentes cultures : l’incubation a duré près de trois siècles.
Les dictionnaires et la littérature spécialisée avancent toutes sortes de définitions. Elles font souvent preuve de dilettantisme : « Le jazz est une musique de danse des Noirs américains, criarde, décadente, syncopée et qui provient d’Afrique ». BERENDT, s’appuyant sur un ensemble de définitions formulées auparavant par des spécialistes américains, a proposé la suivante, il y a des années :
« Le jazz est une pratique musicale qui s’est constituée aux Etats-Unis grâce à la rencontre des Noirs avec la musique européenne. L’éventail des instruments, des mélodies et des harmonies provient pour l’essentiel des traditions musicales de l’Occident.
Les rythmes, le phrasé, le système tonal ainsi que certains éléments des harmonies du blues sont issus de la musique africaine et du sens musical des Noirs américains. Trois éléments fondamentaux distinguent le jazz de la musique européenne :
- un certain rapport au temps, que caractérise le terme de Swing,
- une spontanéité et une vitalité de la production musicale où l’improvisation joue un certain rôle,
- un système tonal, un phrasé qui reflètent l’individualité du musicien en action.
Mais les définitions comme celle-ci restent aussi incomplètes que toutes les autres. La question sur laquelle s’ouvre ce livre veut dire : qu’est-ce que le jazz pour ceux qui le pratiquent, le vivent ?
1. « Le jazz, ce n’est pas ce que tu fais, mais la manière dont tu le fais », dit Fats Waller, le grand pianiste de jazz des années 20 et 30 à Harlem.
2. « Si tu ne vois pas son côté mental, spirituel, tu n’as pas tout le jazz », estime Jimmy Heath, le saxo-ténor de Philadelphie.
3. « Le jazz est le cosmos, il est tout, tu es le jazz, tout est en toi », écrit Sun Ra, chef de file du free jazz et directeur de l’Orchestre galactique.
4. Jean Cocteau écrivit « Je suis étonné que le jazz n’ait pas toujours existé. Rien n’est assez intense — à moins que ce ne soit du jazz ».
5." Jazz is shit" (Johnny Griffin)
6. « le jazz, c’est ce qui se passe entre toi et moi, c’est l’amour » (Teddy Wilson)
7. « Si tu ne l’as pas vécu, ça ne sortira pas de ton cuivre » (Charlie Parker)
8. « Le jazz est la musique noire » (Archie Shepp)
9. « Le jazz est un mot inventé par l’homme blanc » (Miles Davis)
10. « Le jazz n’est pas particulière ment africain Les rabbins dans les synagogues et les gitans sont plus près du jazz que n’importe qui en Afrique » (Lennie Tristano)
11. « Le jazz, c’est ce qui fait que ce siècle ne rend pas le même son que d’autres » (Dizzy Gillespie)
12. « Le jazz est le timbre de l’univers » (Sun Ra)
13. « Le jazz est la liberté » (Archie Shepp)
14. « Le jazz est la liberté d’avoir beaucoup de formes » (Duke Ellington)
15. « Le jazz est sans doute la seule forme d art existant aujourd’hui qui maintienne la liberté de l’individu sans lui ôter le sentiment de son appartenance » (Dave Brubeck)
16. « …une célébration de tout ce qui vit et respire… une lutte contre la mort… un refus de couler, une manière de s’accrocher, un hymne à la circulation du sang. Un hosannah aux glandes sudoripares. Un cantique à l’estomac qui fait mal quand il est vide » (Mezz Mezzrow)
17. « Le jazz, c’est ta mort et ma mort » (Charlie Mingus)
Mellow : tel fut le terme le plus souvent utilisé lorsqu’une station de radio demanda à ses auditeurs d’un ghetto de Chicago — des auditeurs noirs ! — de décrire la musique noire ; « bien mûr, moelleux à point, doux, tendre, coulant, sucré, bienfaisant, fondant, compréhensif, rasséréné, gai, agréable, intuitif, ivre » : voilà les épithètes mentionnées par le dictionnaire lorsque le terme est employé pour qualifier les fruits, le vin, les couleurs, la lumière, les sons, les voix, le temps et les hommes.
C’est Gertrude Stein, l’amie de Hemingway, femme de lettres dans le Paris du Jazz Age (on a appelé les années 20 « l’époque du jazz »), qui a créé la plus belle formule sur le jazz : « Le jazz, c’est la tendresse jointe à une grande violence ». Ce mot contient tous les autres. On y retrouve l’amour et la colère, la liberté et l’appartenance, le shit et la douceur, les Noirs et l’universalité, la spiritualité et la vie concrète.
Il est impossible de décrire le jazz sans faire intervenir des oppositions. Voilà peut-être ce qui le caractérise mieux que tout : le fait d’être tant de choses à la fois. De fait, mellow et « grande violence » s’opposent moins dans le monde du jazz que dans le nôtre. On dit souvent aujourd’hui que le jazz européen s’est trouvé lui-même, qu’il est peut-être même arrivé au niveau du jazz américain. Il y a pourtant une chose que nous pouvons constater aujourd’hui encore : une quelconque formation américaine vient en tournée en Europe, il peut s’agir de musiciens inconnus, qui ne sont pas même de grande classe, et dès la première mesure de batterie on est effrayé par la violence, par une force incroyable, qui est pourtant mellow, bien mûre, douce, moelleuse. C’est là ce qui semble si difficile à concilier chez nous : la violence et la douceur. C’est peut-être parce que dans l’univers du Noir et de la musique noire, qui comporte toujours, lorsqu’elle de vient légère et enjouée, une tendance caractéristique à la douceur, à l’aisance, à la « tendresse », la réserve de violence est incomparablement plus grande. C’est pourquoi la douceur est compatible avec la violence.
Qu'est-ce que le jazz ?
Le jazz recouvre une réalité difficile à cerner. Historiquement, le jazz est apparu, au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme le mode d’expression privilégié du groupe négro-américain : c’est l’expressivité de ce groupe et ses tendances profondes qu’il traduit ; et ce sont les structures musicales créées ou empruntées par lui qu’il utilise.De là vient la contradiction qui affecte toute son évolution. En tant qu’art, il tend à dégager un certain nombre de principes universels qui lui ont permis de déborder la société négro-américaine, d’être pratiqué et aimé par les Blancs des États-Unis puis les Européens et les Asiatiques. Mais, lié à des valeurs issues de cette société, cultivé essentiellement par elle – tous les grands créateurs, en jazz, sont des Noirs –, mettant en œuvre une matière musicale constituée, avant tout, par ses choix, le jazz dépend aussi bien de son histoire que d’un développement formel spécifique.
On comprend dès lors que sa situation soit, de nos jours, assez confuse. Un certain jazz, fortement culturalisé, se perpétue, avec ses « écoles » – « vieux style », « middle jazz », « bop », « cool », « free », etc. Une musique contestatrice, née dans l’avant-garde artistique et politique de la société noire moderne et qui refuse même le nom de jazz, se dresse contre la précédente. Parallèlement, le folklore noir, centré sur le blues ou le climat du blues, et d’où le jazz, autrefois, sortit, connaît un succès sans précédent, et suscite, auprès des jeunes Blancs, des formes dérivées dont l’ensemble constitue la « pop music » : celle-ci, en retour, séduit les jazzmen les plus avancés qui tentent, parfois, de la combiner à leur art. L’esprit du jazz, ainsi, a envahi presque toute la musique, même celle qui est dite classique ; mais les contours de la notion de jazz n’ont jamais été aussi fuyants.
Le seul critère du jazz que musiciens et critiques soient parvenus à avancer est celui du swing : les traits les plus caractéristiques de la musique négro-américaine – traitement de son, blue note – ne peuvent, sans lui, s’organiser en jazz ; et inversement le swing, indépendamment de ces traits caractéristiques, suffirait à faire « jazzer » une musique.
Le swing, le mot swing signifie « balancement ». Tel quel, il renvoie donc à une réalité vécue dont il suggère la transposition imagée : le swing est une dimension euphorique de la musique, qui engendre, chez l’auditeur, la sensation de rebondir d’un temps sur l’autre, d’être continûment « balancé », sans la moindre crainte d’une rupture qui troublerait son bonheur. Ces métaphores dévoilent une dualité entre, d’une part, un élément de permanence – la continuité de ce sur quoi l’on rebondit, la régularité du balancement – et, d’autre part, un élément d’instabilité qui, par contraste, permet d’affirmer le balancement et de le nourrir.
Cette dualité s’incarne très clairement dans l’organisation même de la formation de jazz. La permanence y est établie par la section rythmique – batterie, contrebasse à cordes, guitare, piano – qui s’attache à fournir une pulsation régulière ; l’instabilité, par la section mélodique – cuivres et saxophones – dont le phrasé s’articule sur cette pulsation tout en contrastant avec elle.
Le swing est la fusion parfaite de cette dualité et l’animation de ses échanges intérieurs. On comprend ainsi qu’il ne puisse être précisément défini et noté, par exemple, sur une partition. Très longtemps, on a voulu réduire le jazz à l’usage systématique de la syncope – émission anticipée d’une note se trouvant ainsi attaquée entre deux temps. Mais il ne suffit pas qu’il y ait syncope pour qu’il y ait swing – lequel au demeurant n’implique pas nécessairement la syncope ; il faut qu’elle participe à l’élan vécu qui porte le discours mélodique. Bien des musiques syncopées ne « swinguent » pas et, si la syncope est fréquente en jazz, c’est simplement parce qu’elle manifeste, sur le plan de la transposition écrite, cet antagonisme vivant qui le constitue.
Le swing ne saurait donc être déterminé de manière que l’on puisse automatiquement le produire ; mais on a tenté, en revanche, d’en fixer les conditions d’apparition : équilibre heureux entre la tension et la détente intérieure, précision dans l’attaque, bonne mise en place des accents rythmiques, inflexions instrumentales. Ce n’était que pousser la description sans pour autant définir. Plus fermes apparaissent les observations établies en fonction de la pulsation rythmique : le swing serait favorisé par la mesure à quatre temps et l’accentuation du contretemps, c’est-à-dire du deuxième et du quatrième temps de cette mesure. Mais, depuis la fin des années cinquante, les jazzmen recourent volontiers aux mesures à trois, cinq, six, sept temps, etc., sans que le sentiment de swing se soit évanoui.
On a parfois caractérisé le jazz comme musique improvisée, ce qui mérite examen. Si par improvisation on entend musique inventée sur-le-champ à l’intérieur de certaines données (tempo, canevas harmonique), on ne dévoile pas une dimension constitutive du jazz, mais son aspect le plus fréquent. Nombre de chefs-d’œuvre – ceux de Duke Ellington, par exemple – résultent en effet d’un effort d’écriture musicale, et beaucoup de jazzmen, en réalité, ne font que rééditer, note pour note, des improvisations antérieures : c’est le cas de bien des solos de Louis Armstrong, parvenus à un point de beauté et d’équilibre qui résiste au changement.
Mais, puisque l’œuvre de jazz se déroule dans le temps vécu, on peut aussi affirmer qu’elle n’est jamais tout à fait semblable, même si les musiciens ne s’attachent qu’à répéter une interprétation fixée depuis plusieurs années. Le climat intérieur, lui, a pu changer, et des modifications, imperceptibles souvent, suffisent à renouveler ce qu’on croyait cent fois entendu. En ce sens, alors, l’improvisation se confond avec la vie même du swing.
Né, pour l’essentiel, du folklore du blues et du spiritual, le jazz instrumental a tendu, tout naturellement, à transposer les inflexions et la souplesse de l’art vocal négro-américain. L’instrument y est moins étudié en fonction de ses données spécifiques que de ses possibilités expressives. D’où, en général, des techniques inorthodoxes par rapport aux normes de la musique classique, et l’abondance des effets obtenus soit naturellement – glissando, vibrato appuyé, growl (grincement), étranglements sonores –, soit artificiellement, par l’usage des sourdines pour les cuivres (sourdine « wa wa » notamment). C’est ce traitement qui fait que les jazzmen, sur leurs instruments, semblent souvent gémir, crier, s’efforcer de séduire, parler : d’un musicien qui « prend un bon solo » on dit qu’« il raconte une histoire ». Ainsi réapparaît, encore, la dimension existentielle du jazz.
En ce sens, il permet, beaucoup plus profondément que toute autre musique, l’identification de l’instrument au musicien. Chaque instrumentiste a sa manière de « sonner », et aucun connaisseur ne saurait, par exemple, même sur une note, confondre Coleman Hawkins, Lester Young, Stan Getz, Sonny Rollins ou John Coltrane, qui, tous les cinq, jouent pourtant du saxo ténor. De même, la sonorité de l’orchestre de Duke Ellington est irréductible à celle de l’orchestre de Count Basie, bien que leur définition instrumentale soit semblable.
Swing, improvisation, traitement de la matière sonore, tels qu’ils viennent d’être décrits, renvoient cependant à une image du jazz qui couvre, avant tout, la période allant de 1930 à 1960. C’est durant ces années que le jazz s’est le mieux constitué en art autonome et accompli. Si la période antérieure à 1930 compte de nombreux chefs-d’œuvre, dus surtout à Louis Armstrong, le jazz n’y a pas encore dégagé cette perfection dans la conception rythmique qui permettra au swing, par la suite, de s’épanouir totalement.
À partir de 1960, d’autre part, une césure brutale se produit et l’on voit beaucoup de jeunes musiciens noirs rejeter la pulsation régulière du tempo, brisant ainsi le deuxième terme de la dualité sur laquelle se fonde le swing. Cette révolution s’opère au nom d’un esprit d’improvisation généralisé : le musicien ne s’en remet qu’à son « sentiment intérieur » qui gouvernera le discours ; seul compte l’élan psychologique, avec ses tensions et ses dépressions, ses accélérations et ses stagnations. Ainsi l’univers de la contrainte musicale est-il pratiquement rejeté au profit de la spontanéité intérieure, et le jazz s’immerge-t-il de plus en plus dans le vécu. À la notion de swing se substitue, comme concept clef, celle de feeling.
On ne doit pas en conclure que le jazz est mort – même si le mot lui-même, assimilé à un passé d’oppression, est, dans l’avant-garde, un peu discrédité mais qu’il change de statut. C’est pourquoi décrire la totalité de ce qui est, aujourd’hui, recouvert par le terme jazz est devenu impossible. On peut simplement dire qu’il y a jazz lorsque se rencontrent, dans le domaine de la musique, certaines constantes : primauté de la pulsion vitale, expressionnisme du son et identification de l’instrument à la personne du musicien, place privilégiée accordée à des instruments tels que saxophones, cuivres, contrebasse, batterie, piano et à des groupes instrumentaux spécifiques.
Le jazz est né de la société négro-américaine ; mais comme il témoigne d’une évolution formelle propre et a suscité des créateurs originaux, il est un art plus qu’un folklore, un art surgi d’un folklore. Celui-ci – spiritual, blues, gospel, rhythm and blues – a poursuivi parallèlement son propre développement et continue d’envelopper le jazz. Des échanges constants, de nos jours surtout, vont de l’un à l’autre. Mais il n’y a de jazz qu’à partir d’une intention créatrice, et l’évolution du jazz est, au premier chef, celle du langage jazziste.
Faire du jazz, c’est, au niveau le plus simple, insuffler le swing à une matière musicale quelconque. Ainsi, Jelly Roll Morton, un des premiers jazzmen, déclara : « Le jazz est un style, non une composition. N’importe quelle musique peut être interprétée en jazz, du moment qu’on sait s’y prendre. Ce n’est pas ce que vous jouez qui compte, mais la façon dont vous le jouez. » Interpréter avec swing, c’est ce que l’on demande, dans un grand orchestre, aux musiciens de pupitre qui suivent une partition. Mais créer en jazz, c’est improviser avec swing à partir d’un thème donné. Ce thème repose, en général, sur une structure harmonique simple. Il est, fort souvent, constitué par le refrain (« chorus ») d’un air de la variété américaine, d’où l’expression « prendre un chorus », qui veut dire : improviser sur les harmonies d’un refrain. Les solos improvisés sont constitués de un, deux, cinq, dix chorus successivement enchaînés.
L’improvisation ressortit donc à la variation. Cette variation, comme il en va parfois chez Armstrong, peut se limiter au déplacement de quelques accents du thème. Dans les années trente, les jazzmen, Coleman Hawkins par exemple, paraphrasent la mélodie initiale en exploitant les virtualités de son sol harmonique. À partir de Lester Young, Charlie Parker et du « bop », les musiciens se sont efforcés de réinventer un discours mélodique personnel en partant des accords de base d’un thème, de fait, assez vite oublié. Quant au jazz le plus moderne, il s’efforce à une improvisation totale, sans contraintes structurelles, et substitue à l’esprit de variation la quête d’une absolue spontanéité.
La moitié, au moins, du répertoire des jazzmen repose sur la grille harmonique du blues de douze mesures, abordé sur les tempos. Viennent ensuite les thèmes fondés sur la structure dite « anatole », soit trente-deux mesures réparties en séquences de huit et ainsi disposées : A.A.B.A. C’est le schéma usuel des refrains de variété aux États-Unis (I Got Rhythm). Les jazzmen utilisent également toutes sortes de dérivés – huit, seize mesures, etc. – qui ont en commun d’être toujours des multiples de quatre. Contre cette routine de la « carrure », certains musiciens se sont élevés en composant des thèmes d’un nombre impair de mesures.
Bien souvent, l’esprit de la mélodie initiale est abandonné : celle-ci n’est plus qu’un prétexte et ne sert qu’à poser une grille harmonique. Les jazzmen, alors, remplacent, à l’occasion, l’énoncé d’un thème par une succession de riffs – segments, inlassablement repris, de deux ou quatre mesures –, lesquels se plient à toutes les grilles et possèdent une grande valeur dynamique. De même, certains jazzmen modernes – à l’instar de Miles Davisou John Coltrane–, qui cultivent un jazz extatique ou incantatoire, improvisent-ils fréquemment moins sur un thème que sur une brève séquence de trois ou quatre accords, ou sur des gammes modales.
Le jazz de moyenne ou grande formation, qui a recours aux partitions écrites, emploie le même matériel initial, mais en l’ornant de passages ouvragés, introductions, interludes, codas. Les partitions, dites arrangements, élaborent, en général, une orchestration du thème, prévoient quelques moments d’ensemble et l’accompagnement des solos réservés aux meilleurs improvisateurs de la formation. Les orchestrations ordinaires cultivent surtout les contrastes dynamiques de timbres entre les diverses sections instrumentales. Mais certains arrangeurs – tels Duke Ellington ou Gil Evans – ont élaboré des climats sonores plus raffinés, par l’organisation plus subtile des timbres.
Un musicien, André Hodeir, s’est appliqué à un jazz totalement composé, plutôt qu’arrangé, et gouverné par des soucis formels plus riches et plus rigoureux que le simple schéma « thème et variation ». D’autres, comme Gunther Schuller, ont rêvé d’un « Troisième Courant » qui ferait la synthèse du jazz et de la musique classique, écrivant ainsi une partition où le Modern Jazz Quartet devait improviser dans un contexte dodécaphonique. Ces tentatives restent marginales.
Si l’on omet certaines recherches d’orchestration contemporaines, qui font appel à des instruments comme le hautbois ou la harpe, et des interprétations d’avant-garde qui s’enivrent d’instruments exotiques, le matériel instrumental du jazz est d’une assez grande sobriété. Y prédominent les cuivres – où règne la trompette – et les saxophones – où règne le saxo ténor. Sur le plan rythmique, on trouve, bien entendu, la batterie et la contrebasse à cordes, tandis que piano et guitare appartiennent aussi bien à la section rythmique que mélodique. Des instruments ont connu une progressive défaveur : la clarinette par exemple ; d’autres, comme l’orgue et la flûte, se sont parfois imposés. Violons et cordes ne jouent qu’un rôle épisodique.
Les petites formations ne sont bien souvent que des rencontres de circonstance, simples additions de solistes venus pour improviser (on dit : « faire une jam session »), ou réunions de musiciens habitués à « sentir » ensemble et improvisant dans le même esprit : ainsi les petites formations « bop ». Certaines, au contraire, témoignent d’une disposition préétablie, soit par tradition – ainsi la petite formation « vieux style » s’organise autour du trio cornet à pistons - clarinette - trombone –, soit par une intention d’arrangement et le souci d’une sonorité originale : ainsi les petites formations ellingtoniennes, réductions de l’orchestre de Duke, le trio de Nat King Cole, le Modern Jazz Quartet de John Lewis...
Le grand orchestre – ou « big band » – s’établit selon une organisation à peu près immuable : quatre ou cinq saxophones (alto, ténor, baryton) et parfois une clarinette, qui constituent la section d’anches ; une section de trois ou quatre trompettes, une section de trois trombones, la section rythmique. Cette disposition intangible implique, sur le plan musical, une esthétique peu portée aux renouvellements en profondeur. Aussi est-ce à l’intérieur des moyennes formations, plus riches en possibilités que les « combos » (petites formations) et moins institutionnalisées que les big bands, que se sont développées les recherches d’écriture les plus novatrices : tels l’orchestre Capitol de Miles Davis ou le Jazz Group de Paris d’André Hodeir.