Les origines du Dies Irae
octobre 15, 2018
LES ORIGINES DU DIES IRAE
LE CHANT GREGORIEN
Le CHANT GREGORIEN est un chant RELIGIEUX dont les origines remontent à l’époque du Christ. Il fut instauré par le pape Grégoire Ier dit « le Grand » au VIIIème siècle (d’où le nom : chant grégorien).

Les particularités du chant grégorien sont :
— Toujours chanté à l’UNISSON (= toutes les voix chantent la même mélodie, les mêmes sons)
son rythme est CALME, calqué sur celui de la phrase latine (pour les respirations, notamment)
— Toujours chanté en LATIN, uniquement par des voix d’ HOMMES (ténor et basse), celles des moines.
une mélodie ni trop haute, ni trop basse.
— Toujours chanté A CAPPELLA (pas d’instrument pour la musique religieuse avant longtemps).
— Il comporte de nombreuses et parfois très longues VOCALISES. Par exemple : « Aaaaalléééééluuuuuia ».
— Il s’écrit avec des notes CARREES, sur des portées de 4 LIGNES dans des manuscrits parfois très richement « enluminés ». Les enluminures sont les décorations autour des lettres d’un manuscrit.
En savoir plus sur la musique au moyen-âge : la notation musicale / la modalité.
En résumé :
Caractère : Eglise ; Religieux ; Latin ; Doux ; Lent ; Echo ; relaxant
Hauteur : Ni trop haut (aigu) ; Ni trop bas (grave)
Voix : Ténor / basse ; A cappella ; Unisson ; Chœur
L’unification carolingienne du répertoire et de la notation n’a pas eu que des résultats, des aspects positifs. C’est la fin de la période vivante du chant grégorien.
Le chant grégorien devient alors un objet de vénération, donc un objet figé, muséographié. Et la preuve en est, c’est que cet objet vénéré, sacré a été promis à une prompte dégénérescence. Les fidèles et surtout les moines dans leur couvent ressentent le besoin le plus en plus vif de créer un art de leur temps pour exprimer leur foi, ils expriment la nécessité de créer un art contemporain (c’est le propre de chaque époque). Cet art contemporain va se réaliser en particulier dans un genre nouveau que seront les tropes.
LES TROPES
1°) Les événements :
Vers 850, les moines de Jumièges (en Normandie) ont la curiosité de placer des paroles syllabiques sous les vocalises de l’alléluia grégorien et cela, disent-ils, pour mieux les retenir. Ces vocalises longues, complexes ne sont apparemment pas faciles à retenir alors ces moines décident de mettre des paroles syllabiques dessous ! C’est un prétexte pour mieux les retenir puisque lorsqu’on entend une chanson deux ou trois fois on peut la fredonner, mais on ne sait pas les paroles, donc ce qu’on retient plus facilement c’est bel et bien la musique et non pas le texte. C’est donc bien un prétexte mais c’est un prétexte pour composer, d’une certaine manière.
Ainsi était né le trope dans son état le plus rudimentaire.
« Troper » une mélodie consiste donc en un développement musical ou littéraire ou musico-littéraire d’un chant ou d’une partie de chant contenu dans le graduel ou l’antiphonaire.
C’est là l’étymologie du mot troubadour : un troubadour, en latin, c’est un tropator c’est à dire un faiseur de tropes, un compositeur de tropes.
2°) Les différents types de tropes :
En effet, on va composer des tropes pendant près de 600 ans. Cette production très abondante se différencie suivant l’aspect littéraire, la facture musicale et les rapports du trope avec le modèle liturgique.
Ainsi, on distingue des tropes mélodiques qui se greffent sur la mélodie traditionnelle : c’est ce qu’on appelle des tropes mélogènes (ils génèrent du « mélos » c'est-à-dire de la mélodie).
On les distingue des tropes littéraires dont le texte cette fois-ci est ajouté à celui des pièces traditionnelles : ce sont des tropes logogènes (ils génèrent du « logos », du discours).
Qu’ils soient mélogènes ou logogènes, on classera les tropes du plus simples aux plus complexes en suivant bien entendu leur apparition chronologique parce qu’au fond c’est les plus simples qui apparaissent le plus tôt et les plus complexes qui apparaissent le plus tard.
Exemple de technique de tropisation :
LA SÉQUENCE
1°) La séquence primitive ou « séquence classique » (850-1050) :
La séquence est un cas particulier du trope : l’adaptation d’un texte au long mélisme de la dernière syllabe de l’alléluia, appelé jubilus, sequentia ou longissima melodia.
L’invention poétique des adaptateurs est devenue prolixe : c’est à dire qu’ils inventent plus de textes que la mélodie ne peut en porter. La vocalise originale n’a donc plus assez de notes pour supporter toutes les syllabes du nouveau texte moyen quoi il n’y qu’une solution, c’est de développer aussi la mélodie pour obtenir comme toujours un syllabisme parfait. Ce trope est donc à la fois logogène et mélogène. La mélodie grégorienne n’est plus qu’un schéma de base dont on s’écarte plus ou moins selon les besoins…
La séquence (aussi appelée « prose » à Saint-Martial de Limoges) adopte une structure particulière avec des phrases qui sont toujours jumelées (c’est à dire 2 fois la même phrase musicale avec un texte différent : AA BB CC DD…). Assez souvent la première phrase n’est pas jumelée, la dernière non plus (donc, par exemple, ce sera ABBCCDDE) :
Remarque : chaque phrase musicale correspond à un vers (qui est répété deux fois sauf pour le 1er et le dernier vers). A Saint Martial de Limoges les vers sont assonancés en “a” pour rappeler les “a” d’alléluia : c’est à dire que dans ces vers on placera le plus de “a” possible. Ce procédé poétique de l’assonance aura des conséquences sur la formation ultérieure de la rime (car la poésie française n’est encore pas rimée…) : l’assonance en s’appauvrissant ne touchera plus que la rime. La rime sera généralisée en France vers 1100.
2°) La nouvelle séquence (après 1050) :
La nouvelle séquence (qu’il ne faut pas confondre à la séquence primitive) apparaît à la fin du 11ème siècle. C’est un poème formé de vers, vers au nombre de syllabes bien définit, et où les rimes remplacent désormais l’assonance. La mélodie est totalement nouvelle et sans rapport avec l’alléluia qu’elle est censée troper. Si l’ancienne séquence était donc un trope de développement de l’alléluia, la nouvelle séquence est un trope de substitution de l’alléluia. Cette nouvelle séquence, selon les époques, se différencie on distingue une première époque puis une deuxième époque.
Première époque : c’est celle de Wipo de Bourgogne (né en Suisse à Soleure vers 995 et mort en Bavière vers 1050) qui pourrait bien être l’auteur de la séquence de Pâques « Victimae Paschali Laudes » qui est en quelque sorte le trope de substitution de l’alléluia. Et comme à Pâques on ne peut pas ne pas chanter l’Alléluia, et bien on enchaîne alléluia et séquence !
AUDITION : Séquence « Victimae Paschali Laudes »
Il s’agit bien du style séquence c’est à dire d’un style parfaitement syllabique.
Mode : on est en mode de ré (= mode dorien).
Forme : ABBCDCDE (c’était une forme qui était beaucoup plus régulière que cela mais qui est devenue moins régulière au 16ème siècle parce qu’on a supprimé des vers ; on a trouvé que cette séquence était un peu longue, on l’a donc abrégé et on en a gardé la forme abrégée qui liturgiquement est plus efficace).
Traduction : « A la victime Pascale que les chrétiens offrent leur louange. L’agneau a racheté ses brebis : le Christ innocent réconcilia vite à réconcilier les pécheurs avec son père. La mort et la vie se sont affrontés en un duel effrayant. Le maître de la vie était mort : il règne vivant... ».
La deuxième époque : elle est représentée par Adam de Saint Victor (†1177 ou 1192) qui est l’auteur de nombreux textes littéraires et on sait qu’il a travaillé à Paris. On retrouve des caractéristiques essentielles de la première époque mais il semble qu’à ce moment là (c’est à dire à la deuxième époque) le rythme ait été le plus souvent ternaire.
Le nombre total de séquences (1ère et 2ème époque) atteint 4500, ce qui prouve l’immense succès de ce genre. On a même tellement aimé les séquences qu’on en a composé dans les liturgies pour lesquelles il n’y avait pas d’alléluia (ce qui est stupide par rapport à l’origine de la séquence…). Par exemple, pour la messe des morts qui comporte donc une séquence : le « Dies Irae ».
* * *
LE REQUIEM
Le terme de requiem vient du latin requies ou quies qui signifie initialement le repos, mais veut aussi dire la tranquillité, la paix, le calme, le silence ou encore le sommeil.
Depuis la plus haute Antiquité, ce sont les concepts de repos et de lumière qui ont été communément reçus parmi les définitions et comparaisons qui tentent de décrire l’au-delà.
Et c’est dans un livre de l’Ancien Testament qui n’appartient pas au groupe d’ouvrages reconnus par l’église catholique, le livre IV d’Esdras, qu’on trouve reliées entre elles les notions de repos et de lumière.
L’introït Requiem venant de cet ouvrage n’a pas toujours fait partie de l’ensemble des œuvres grégoriennes pour des questions de principes et de règles prédéfinies. Les textes de la messe des morts, et la messe des morts en elle-même sont entrés très tardivement dans les usages grégoriens.
Et en consultant les textes d’origine romaine, on pourrait croire qu’il n’existait alors qu’un seul formulaire de chants pour les défunts.
En réalité, au Moyen-âge, chaque clergé possédait son propre rituel à l’intention des défunts. Mais l’inventaire des oeuvres pour les morts a montré que malgré la grande diversité que l’on pouvait constater, c’est le Requiem qui demeurait le plus répandu.
Ainsi à Paris, on trouvait la messe des morts sous cette forme : Introït « Requiem », graduel « Si ambulem », verset « Virga tua », trait « Sicut servus », offertoire « Domine Jesu Christe », communion « Lux aeterna ».
À l’époque, toute la séquence du « Dies irae » était absente de la messe des morts. Ce n’est qu’avec l’ouvrage du Missel Romain de 1585 d’origine italienne que le « Dies irae » est entré dans les usages (autrement dit après le Concile de Trente).
Car c’est à partir du 15ème siècle que les compositeurs ont commencé à traiter les textes de la messe des morts, notamment celui de J. Ockeghem, ou Palestrina en Italie ; en France le requiem de J. Gilles qui sera chanté aux funérailles de J. Ph. Rameau et de Louis XV.
Après cela, le requiem ne sera plus seulement chanté mais écrit pour voix et orchestre : en Autriche on trouve celui de Haydn, et le célèbre requiem de Mozart. Plus tardivement on trouve celui d’H. Berlioz, puis de Verdi, Fauré ; et au 20ème siècle entre autres celui de M. Duruflé.
Il faut encore mentionner les requiems en langue « vulgaire » comme le célèbre Deutsches Requiem de J. Brahms, ou le War Requiem de B. Britten.
Les différentes expressions liturgiques du Requiem :
Au cours des âges, la liturgie des défunts oscille entre deux expressions bien différentes :
- Traduire la douleur, l’angoisse, l’effroi, la crainte… comme le fait Michel Ange dans « le jugement dernier » de la Chapelle Sixtine : Dieu est entrevu comme un juge redoutable.
- Exprimer l’espérance, la paix, la lumière… comme le font plutôt Fra Angelico et Giotto : Dieu est présenté comme un père miséricordieux.
Dans les premiers siècles : la liturgie est empreinte de l’idée de paix et de triomphe : c’est l’époque des catacombes, des martyrs…
À partir du 8ème siècle, on prend conscience que la mort n’est pas seulement l’entrée dans la « terre promise », mais qu’elle comporte aussi un aspect de purification.
A partir du 13ème siècle, la confiance dans la rédemption se réduit. On exagère plutôt l’aspect dramatique. C’est des « Danses macabres », comme celle de La Chaise-Dieu. On utilise des ornements noirs où sont représentés des crânes, des tibias… Le chant du Dies Irae est aussi incorporé à l’office.
L’époque romantique amplifie encore cette dramatisation.
Il faut attendre pratiquement le concile Vatican II (1963-1966) pour revenir à l’équilibre du Moyen-âge :
- L’homme aspire à un bonheur sans fin : il a besoin de purification,
- Les morts sont les vrais vivants : ils partagent un bonheur sans fin.
Évidemment ces différentes orientations de la pensée chrétienne concernant la mort et l’au-delà, vont influencer les compositeurs. Mais ceux-ci réagiront aussi en fonction de leur propre sensibilité.