Machuel - Leçons de ténèbres
Leçon des ténèbres :de la voix humaine à la voix instrumentale
Ce que l’on entend généralement par Leçons de Ténèbres est une œuvre religieuse qui s’appuie sur des extraits de psaumes, des paroles de révolte de Dieu contre son peuple et des hymnes, dans le temps le plus fort de la Passion, entre la célébration de la mort du Christ et celle de sa résurrection. Le rite comporte dans cette période des gestes très particuliers, extinction progressive de toute lumière sauf une, que l’on garde cachée comme une certitude intérieure, silence, attente de l’aube qui, dans la disposition habituelle des architectures pénétrait dans le chœur au matin de Pâques, face aux fidèles, éclatante et comme une émanation divine. Il s’agit donc, au propre comme au figuré, d’un dialogue entre ombre et lumière, âpre, sans concessions.
C’est dans le contexte particulier de ma résidence à Clairvaux que j’ai eu la possibilité de composer un trio à cordes pour le trio Pasquier (Régis et Bruno Pasquier, Roland Pidoux). La double identité de ce lieu chargé d’histoire, monastère d’abord puis prison, m’a inspiré le projet : des Leçons de Ténèbres sans texte ni référence religieuse, exprimant la révolte des détenus autant que leurs appels intérieurs ; rendre compte par la musique d’images qui me restent de la traversée des grilles et des murs, dont certains appartiennent encore à l’ancienne abbaye, comme un appareillage de pierre et de béton mêlés.
La thématique est donc inspirée de trois éléments : le trio d’abord, avec un thème dodécaphonique ; la prison ensuite, avec une série de 12 notes jouées, à la manière du son produit par les serrures électroniques ; l’abbaye enfin, avec un schéma temporel extrêmement strict (comme la Règle monastique développée selon la liturgie des Heures, aussi contraignante que l’organisation carcérale) conçu pour une durée de douze minutes réparties en huit minutes de son et quatre de silence (total ou partiel).
La forme est en miroir temporel : dernière section en inversion de la première, le grave du début se concluant sur l’extrême aigu des accords de la fin. Il y a donc dans le trio comme deux figures inversées, l’une dans l’ombre carcérale (début, mesures 1 à 14) et l’autre dans la lumière (fin, mesures 131 à 144), qui n’en forment qu’une. Toute la partie centrale de l’œuvre vise à unifier l’ensemble des motifs.
Les leçons de Ténèbres sont un genre musical liturgique créé en France au XVIIème siècle et destiné au premier des trois nocturnes qui accompagnent chaque Office des Ténèbres (matines des jeudi, vendredi et samedi saints). L'office porte le nom de ténèbres puisqu'il est chanté normalement très tôt le matin dans l'obscurité plus ou moins complète. Cet office dure entre 1h30 et 2h45 et raconte les douleurs de la Passion de Jésus-Christ, le Jeudi saint, au Jardin des Oliviers ; le Vendredi saint, devant les tribunaux et au Calvaire ; le Samedi saint, au Sépulcre. Il arrive parfois qu’il se déroule en éteignant des bougies au fur et à mesure pour n’en garder qu’une seule allumée que l’on ravive au matin de Pâques.
Ce genre musical disparaît dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, mais fournit un thème lyrique souvent évoqué en littérature jusqu'à l'époque contemporaine.
Caractéristiques :
- Thème dodécaphonique (douze sons) en deux accords, deux notes par instrument (doubles-cordes) :
La série est donc la suivante, elle fait entendre le total chromatique :
— Thème de la prison (mes. 55), série de 12 notes (total chromatique), jouées chacune deux fois par un effet de rebond, à la manière du son produit par les serrures électroniques :
Ce thème servira de point de départ à une longue variation.
— Schéma temporel très stricte, en référence aux règles monastiques très contraignantes, comme le sont aussi les règles de vie carcérale. L'œuvre est conçue pour durer 12 minutes, (à 60 à la noire, chaque mesures à 5/4 dure 5s. et il y en a 144 mes.), réparties en 8 min. de son et 4 min. de silence (total ou partiel). Ce qui donne 96 mesures de son et 48 mesures de "silence".
— Mesure à 5 temps (souvent répartie en 2 noires, puis 3), qui donne un sentiment d'insécurité, d'instabilité, cela suggère, pour T. Machuel, une "respiration inquiète”.
— Forme en miroir temporel, la dernière section est l'inverse de la 1ère.
Structure rythmique des 14 premières mesures :
Si on les lit de droite à gauche, cela donne la structure rythmique des 14 dernières mesures :
Cependant les registres ne sont pas les mêmes, le début est dans le grave, alors que la fin est dans l'extrême aigu. T. Machuel envisage le début (grave) comme la vie carcérale, et la fin (miroir de la 1ère, mais dans l'aigu), comme la vie monastique (enfermement qui conduit à la lumière). L'œuvre est en miroir temporel, mais ne se termine pas comme elle avait commencé. L'œuvre est un parcours DE L'OMBRE À LA LUMIÈRE.
— Longue mélodie plaintive, "cantilène", T. Machuel parle de "thrène" (chant à la mémoire des défunts) :
Brièvement évoquée au violon, mes. 27