Jean-André Pirro : la parodie dans la messe en si



À propos de la parodie, dans la Messe en si mineur

Texte extrait du livre d’André Pirro : L’esthétique de Jean-Sébastien Bach- Minkoff Reprint, Genève, 1973 p. 228-330 (Réimpression de l’édition de Paris - 1907)

Dans un  assez grand nombre d’œuvres, Bach n’a pas inventé, mais adapté. Certains textes ont été revêtus par lui d’une musique qu’il avait trouvée, auparavant, pour d’autres textes. Il y a ainsi des compositions qu’il a renouvelées, ou même simplement répétées, quand le sujet de la poésie semblait, cependant, très différent du sujet qu’il avait traité d’abord. [...] Or l’examen des œuvres où il ne crée pas, mais où il se redit, témoigne le plus souvent, du discernement avec lequel il a su faire passer sa musique d’un texte à l’autre. On reconnaît bientôt qu’il y a quelque chose de commun entre les idées contenues dans les phrases qu’il énonce de la même manière. On y découvre des images parallèles, des correspondances, et comme des affinités de situation. En comparant ces œuvres semblables, on apprend quels furent, dans chacune d’elles, l’intention générale de Bach, et le fond de sa pensée ; on aperçoit ce qu’il ressentit le plus fortement dans certains poèmes, et voulut en dégager, sans s’attarder aux menus détails de la traduction.

Remarquons avant tout que, parmi ces adaptations, quelques-unes sont très naturelles. On ne s’étonnera point que, dans la Messe en si mineur, pour chanter Gratias agimus tibi, propter magnam glorium tuam, Bach emploie un chœur dont le texte allemand avait presque exactement le même sens : Wir danken dir, Gott, wir danken dir, und verkündigen deine Wunder (nous te remercions, Dieu, et nous proclamons tes miracles). Dans la même messe, le chœur Qui tollis peccata mundimiserere nobis, est un remaniement du premier chœur de la cantate Schauet doch und sehet, ob irgend ein Schmerz sei, wie meine Schmerz (voyez s’il est une douleur semblable à la mienne). Ici, il n’y a pas plus, comme dans le premier cas, identité presque complète entre les deux textes, mais on conviendra qu’ils sont très étroitement associés, l’un étant une déploration, l’autre une supplication, et chacun se reportant à Jésus sacrifié.

"Pleurs, gémissements, soucis, angoisse et détresse sont le pain trempé de larmes des chrétiens qui portent le signe de Jésus". Tels sont les mots du premier chœur de la cantate Weinen, Klagen, et ce chœur, dans la Messe en si, en devient le Crucifixus. Cette fois encore, la parenté des sentiments est évidente. Le texte allemand évoque d’ailleurs nettement l’idée de la croix. Ajoutons que cette composition repose sur un motif caractéristique de la douleur, que Bach joint fréquemment aux paroles qui rappellent la mort de Jésus-Christ. Le Patrem omnipotentem provient du premier chœur de la cantate Gott, wie dein Name, so ist auch dein Ruhm bis an der Welt Ende : dans les deux cas, c’est la grandeur de Dieu, que la musique célèbre. L’Agnus Dei est fait d’après l’air d’alto de la cantate Lobet Gott in seinem Reichen : la mélodie de la voix est transformée, mais l’accompagnement expose, dans les deux cas, la même prière instante.

Observons, du reste, que ces transcriptions ne sont pas rigoureuses. Spitta l’a déjà remarqué : "Bach n’a laissé aucune de ces compositions absolument telle que dans la première version, même quand elles n’ont pas changé complètement de face. Souvent, par de petits traits, elles sont devenues plus caractéristiques encore : ainsi, le Crucifixus, par le frémissement de la basse et par la modulation finale, et le qui tollis par la réduction de sonorité que l’auteur obtient, en supprimant les instruments à vent".


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