Bach - Messe en si mineur - Textes complémentaires de Jean-André Pirro
Ainsi que les motifs
de la joie, les thèmes de la douleur conservent, dans les parties
instrumentales, leur physionomie connue. L’absence des paroles ne les prive
point de signification, et cette signification reste invariable.
Le
plus typique de ces motifs, la suite chromatique descendante, garde, à
l’orchestre, son caractère de plainte désespérée[...]
Ce
motif est obstinément répété dans le Crucufixus de la Messe en si mineur, où Bach ne
fait qu’adapter au texte latin le premier chœur de la cantate Weinen, Klagen, Sorgen : "Les larmes, les gémissements,
l’angoisse et la détresse sont le pain quotidien des chrétiens qui portent
l'emblème de Jésus. Cet emploi, dans les deux chœurs, des mêmes ressources, est
assez justifié par l’intime harmonie des sentiments et des allusions qu’ils
contiennent, puisque, dans chacun d’eux, revit le souvenir du Christ crucifié,
symbole de douleur, et cause incessante d’affliction pour le Chrétien pénitent.
André
Pirro - L’esthétique de
Jean-Sébastien Bach- Minkoff Reprint, Genève, 1973 p.
Pour
Bach, le violon solo est une voix de tendresse et de lumière. Il le fait
rayonner avec une ampleur vaporeuse et étincelante, pleine de caresses et
d’éblouissements. Quand il veut apaiser l’âme, la pénétrer de délices, pour lui
en laisser pressentir de plus rares, l’enivrante cantilène tournoie. Les
paroles de consolation s’épanouissent dans cette efflorescence des tons qui
guérit le cœur en prenant les sens, et les phrases d’accueil ou de louange en
reçoivent une auréole de grâce et de gloire.
L’instrument
est si maniable et si généreux, que Bach peut dire tout son rêve, dans les
harangues suaves et dans les prières scintillantes que le violon déroule, soit
qu’il concerte seul avec le chant de la basse continue, soit qu’il tienne le
premier rang au milieu de l’orchestre.
Le Benedictus de la Messe en si mineur et le Halleluja de la cantate pour l’élection du
conseil de Leipzig (1731) sont accompagnés par le violon solo.
André
Pirro - L’esthétique de
Jean-Sébastien Bach- Minkoff Reprint, Genève, 1973 p. 209
A propos de la voix d’alto
Comme
le dit excellemment M. Arnold Schering, "chaque fois qu’une situation
atteint le plus haut point, que ce soit dans la douleur ou dans la joie calme,
Bach a recours à la voix d’alto et obtient des effets saisissants. C’est la
voix qui pousse avec le plus d’instance l’appel à la pitié, ses tons sombres
expriment avec le plus de vérité les défaillances humaines ; les airs les plus
passionnés, les plus pénétrants sont écrits pour elle". Et M. Schering
renvoie, avec juste raison, aux airs d’alto de laMatthäus Passion et de la Johannes Passion, à l’Agnus
Dei de la Messe en si mineur, à l’Et misericordia chanté avec le ténor dans le Magnificat.
André
Pirro - L’esthétique de
Jean-Sébastien Bach- Minkoff Reprint, Genève, 1973 p. 279
A propos de la parodie
Dans
un assez grand nombre d’œuvres, Bach n’a pas inventé, mais adapté.
Certains textes ont été revêtus par lui d’une musique qu’il avait trouvée,
auparavant, pour d’autres textes. Il y a ainsi des compositions qu’il a
renouvelées, ou même simplement répétées, quand le sujet de la poésie semblait,
cependant, très différent du sujet qu’il avait traité d’abord. [...] Or
l’examen des œuvres où il ne crée pas, mais où il se redit, témoigne le plus
souvent, du discernement avec lequel il a su faire passer sa musique d’un texte
à l’autre. On reconnaît bientôt qu’il y a quelque chose de commun entre les
idées contenues dans les phrases qu’il énonce de la même manière. On y découvre
des images parallèles, des correspondances, et comme des affinités de
situation. En comparant ces œuvres semblables, on apprend quels furent, dans
chacune d’elles, l’intention générale de Bach, et le fond de sa pensée ; on
aperçoit ce qu’il ressentit le plus fortement dans certains poèmes, et voulut
en dégager, sans s’attarder aux menus détails de la traduction.
Remarquons
avant tout que, parmi ces adaptations, quelques-unes sont très naturelles. On
ne s’étonnera point que, dans laMesse en si mineur, pour chanter Gratias agimus tibi, propter magnam
glorium tuam, Bach emploie un chœur dont le texte allemand avait presque
exactement le même sens : Wir
danken dir, Gott, wir danken dir, und verkündigen deine Wunder (nous te remercions, Dieu, et nous
proclamons tes miracles). Dans la même messe, le chœur Qui tollis peccata mundi, miserere nobis, est un
remaniement du premier chœur de la cantate Schauet
doch und sehet, ob irgend ein Schmerz sei, wie meine Schmerz (voyez s’il est une douleur semblable
à la mienne). Ici, il n’y a pas plus, comme dans le premier cas, identité
presque complète entre les deux textes, mais on conviendra qu’ils sont très
étroitement associés, l’un étant une déploration, l’autre une supplication, et
chacun se reportant à Jésus sacrifié. "Pleurs, gémissements, soucis,
angoisse et détresse sont le pain trempé de larmes des chrétiens qui portent le
signe de Jésus". Tels sont les mots du premier chœur de la cantate Weinen, Klagen, et ce chœur,
dans la Messe en si, en
devient le Crucifixus.
Cette fois encore, la parenté des sentiments est évidente. Le texte allemand
évoque d’ailleurs nettement l’idée de la croix. Ajoutons que cette composition
repose sur un motif caractéristique de la douleur, que Bach joint fréquemment
aux paroles qui rappellent la mort de Jésus-Christ. Le Patrem omnipotentem provient du premier chœur de la cantate Gott, wie dein Name, so ist auch
dein Ruhm bis an der Welt Ende :
dans les deux cas, c’est la grandeur de Dieu, que la musique célèbre. L’Agnus
Dei est fait d’après l’air
d’alto de la cantate Lobet
Gott in seinem Reichen : la
mélodie de la voix est transformée, mais l’accompagnement expose, dans les deux
cas, la même prière instante. Observons, du reste, que ces transcriptions ne
sont pas rigoureuses. Spitta l’a déjà remarqué : "Bach n’a laissé aucune
de ces compositions absolument telle que dans la première version, même quand
elles n’ont pas changé complètement de face. Souvent, par de petits traits,
elles sont devenues plus caractéristiques encore : ainsi, le Crucifixus, par le frémissement
de la basse et par la modulation finale, et lequi tollis par la réduction de sonorité que
l’auteur obtient, en supprimant les instruments à vent".
André
Pirro - L’esthétique de
Jean-Sébastien Bach- Minkoff Reprint, Genève, 1973 p. 228-330