Racines du jazz - musique pour piano
octobre 15, 2018
Les pièces de genre pour piano
Un précurseur américain : Gottschalk
On verra plus loin que les compositeurs de ragtime classique, notamment Joplin, s’ils étaient partiellement autodidactes, connaissaient cependant bien leur rudiment musical et avaient bien travaillé leur piano. Mais ils avaient aussi été, certains d’entre eux tout au moins, exposés à la musique de piano « classique » européenne du 19ème siècle, c’est-à-dire, pour être plus précis, à certaines œuvres des pianistes romantiques et post-romantiques. Parmi ces influences, ils furent aussi marqués, sans aucun doute, par les pièces de genre du brillant pianiste américain que fut Gottschalk.
Louis Moreau Gottschalk (1829-1869), qui fut le premier compositeur et pianiste américain de réputation internationale, naquit à La Nouvelle-Orléans d’un père d’origine espagnole né en Angleterre et élevé en Allemagne et d’une mère créole issue d’une bonne famille française émigrée de Haïti lors de la révolte des esclaves noirs dirigés par Toussaint Louverture (1791). Dès l’âge de quatre ans, il montra de tels dons pianistiques que ses parents lui firent donner des leçons particulières par François Letellier, organiste en titre et chef de chœur de la cathédrale Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans. A sept ans, le petit prodige pouvait remplacer son maître à l’orgue pour la messe. Letellier adjura alors ses parents de l’envoyer parfaire son éducation musicale à Paris et, en 1842, à treize ans, Moreau, comme on l’appelait, s’embarqua pour la France. A Paris, après s’être vu refuser une audition par Pierre Zimmerman, chargé de la classe de piano au Conservatoire, qui n’aimait guère les Américains, il reçut des leçons de piano de Karl Hallé et de Camille-Marie Stamaty. Le 2 avril 1845, à quelques jours de son seizième anniversaire, il donna Salle Pleyel un récital à la fin duquel Chopin, qui était présent, le félicita et lui prédit qu’il deviendrait « le roi des pianistes ». Un peu plus tard, Hector Berlioz salua en lui « un pianiste consommé doué d’une puissance souveraine ». Jeune, beau et romantique à souhait, on a lieu de penser qu’il devint vite la coqueluche des belles Parisiennes qui se pâmaient à l’écoute de ses compositions dans le genre de l’époque, Valse de salon (1842), Polka de salon (1844), mais aussi de ses pièces exotiques, Bamboula, danse de nègres (1846), La Savane, ballade créole (1847), Le Bananier, chanson nègre (1848), Le Mancenillier, sérénade antillaise (1849), etc., sans parler d’un morceau plus tardif, The Dying Poet, a Meditation, qui laisse voir à quel point il devait admirer Chopin. Cette ravissante pièce écrite à 6/8, mais qui se joue comme une valse, est peut- être un peu facile et lourde en rubatos, mais on n’oublie pas sa mélodie principale une fois qu’on l’a entendue — et elle fut d’ailleurs longtemps le cheval de bataille, pour les scènes sentimentales, des pianistes qui, bien plus tard, devaient accompagner les films muets.
Revenu sur le continent américain, Gottschalk composa et se produisit à une cadence frénétique un peu partout, de New York à la Californie, de la Guadeloupe au Canada, de La Havane jusqu’au Pérou et au Brésil, où il mourut de la fièvre jaune en 1869, à l’âge de quarante ans. On lui doit des symphonies, des opéras et des sonates, mais il reste surtout dans l’histoire comme le premier à avoir traduit au piano des chansons et des danses folkloriques noires et créoles. Né dans la grande cité louisianaise, il avait pu dès son enfance y entendre la bamboula et voir les esclaves la danser sur Congo Square, mais il allait aussi à l’Opéra français tout en écoutant dans les rues les musiques populaires d’origine espagnole et cubaine. Le pianiste Eugene List a enregistré en 1972 ces œuvres caractéristiques, parmi lesquelles se trouve une très belle interprétation de Bamboula. Il est vraiment très tentant de penser que Joplin connaissait cette pièce, qu’il l’avait jouée, méditée peut-être, et qu’elle lui a procuré un modèle, non seulement d’organisation structurelle, mais de perfection pianistique. La deuxième partie du morceau est plus élaborée, plus romantique, plus tour née vers Chopin, mais toute la première partie est fortement structurée, selon le schéma suivant : Intro 16 (sur le motif de A) AABA (en ré bémol) CC (en si bémol mineur) DD (en sol bémol) Int. 4 ABCC DD. En outre, on trouve dans Bamboula des passages qui sont indiscutablement en rythme de cakewalk.
Tombé dans l’oubli après sa mort, Louis Moreau Gottschalk fut redécouvert à la fin des années trente et une édition presque complète de ses œuvres a été publiée en 1969, suivie d’autres éditions plus savantes. On y trouve bien entendu la fameuse « Trilogie louisianaise », à savoir Le Bananier, Bamboula et La Savane, mais aussi The Banjo - Fantaisie Grotesque, dont les rythmes syncopés et les profils mélodiques abrupts imités du jeu de banjo en « picking » des esclaves noirs semblent annoncer l’avènement du ragtime et susciteront de nombreuses autres pièces plus ou moins imitatives (ex. : Banjo Twang : Danse Nègre, Charles Drumheller, Saint Louis, 1893).
ragtime
Le ragtime (de l’anglais ragged = heurté, haché, désordonné) est un style de piano en vogue entre 1896 et 1917 (il s’est développé à partir d’environ 1870 ; le terme apparaît dès les premières publications imprimées à partir des années 1890), qui naquit dans le Missouri (au sud-ouest des Etats-Unis : Sedalia, Saint-Louis) et fut, avec le blues, un des éléments constitutifs du jazz. Musique écrite et publiée, jouée à l’origine en tempo modéré (« It’s never rag to play ragtime fast », avait coutume de dire Scott Joplin : il faut éviter les éclats de virtuosité), le ragtime, qui, à la différence du blues, se veut gai et enjoué, se compose généralement de quatre parties ou « strains »(= airs) de 16 mesures avec reprise disposées selon le schéma AABBACCDD, avec modulation et parfois interlude de deux ou quatre mesures entre chaque partie et souvent noté à 2/4. Cette coupe typiquement occidentale est inspirée de la polka et du quadrille, mais plus encore, certainement, de certaines marches militaires jouées par les fanfares alors très répandues aux Etats-Unis, et qui finirent par inscrire elles-mêmes des cakewalks et des ragtimes à leur répertoire.
Rythmiquement, on fait dériver le ragtime d’une danse de plantation appelée « cakewalk » [1] (le pas du gâteau) : sur un rythme à 2/4 fortement marqué par la main gauche (influence de la marche : faire la pompe), la main droite joue une mélodie très syncopée basée sur une succession théorique de 8 doubles croches accentuées selon un décalage ternaire. Une autre origine du ragtime est la bamboula (danse africaine).
Cette façon de diviser la mesure selon une constante qui relève plus de la métrique que de l’accentuation proprement dite trahit, selon Borneman, « une origine et une approche incontestablement africaines ». Ainsi, le plus européen des matériaux du jazz renvoie quand même, au-delà de l’harmonie occidentale, aux sources africaines.
Forme fixe à l’origine, le ragtime (on dit également : rag) évoluera rapidement, ne gardera plus que 2 parties (dont, généralement, la 3ème de la forme originale), se jouera en tempo plus rapide, intégrera les blues notes qui lui étaient étrangères à ses débuts et laissera une large place à l’improvisation. Ainsi se fera le passage au jazz et au style de piano stride illustré par l’école de New York avec James P. Johnson, Fats Waller, …
Le ragtime est un mélange d’influences blanches et noires : l’influence noire apparaît dans l’utilisation de rythmes syncopés qui créent un déhanchement dansant ; l’influence blanche se marque par l’aspect composé du ragtime, qui possède plusieurs parties et plusieurs mélodies enchaînées et un accompagnement de style marche (issu de la fanfare) que la main gauche effectue (= faire la pompe). Scott Joplin est le compositeur de ragtime le plus connu à l’origine. Plus tard, avec des personnalités comme Jelly Roll Morton, le ragtime inclut une part d’improvisation.
A son succès contribuent de façon déterminante l’impression musicale et les cylindres des pianos mécaniques grâce auxquels les interprètes-compositeurs fixent acoustiquement leurs créations ambitieuses, parfois extrêmement compliquées, en premier lieu Scott Joplin (Maple Leaf Rag), puis Tom Turpin et James Scott.
Contrairement au blues, au gospel, aux chants de travail, expression de l’esclavage et de la misère à l’état brut, le ragtime est d’emblée une musique élaborée, pratiquée par la petite frange des Noirs cultivés, connaissant la musique et, en particulier, l’œuvre des grands compositeurs européens pianistiques du 19ème siècle (Chopin, Liszt…).
[1] Cake-walk : danse de caractère grotesque issue du folklore noir américain, au rythme très syncopé et notée à 2/4. Elle tient son nom d’une ancienne coutume du Sud des Etats-Unis, qui consistait à récompenser d’un gâteau (= cake) l’esclave qui avait le plus brillamment dansé. Ayant traversé l’Atlantique aux alentours de 1900, le cake-walk a été utilisé au music-hall et dans l’opérette, et a inspiré à Claude Debussy une pièce de son Children’s Cornerpour piano, Golliwogg’s cake-walk. Le cake-walk serait lui-même issu d’une danse collective marchée en rond appelée walk-around ou promenade.
Rythmiquement, on fait dériver le ragtime d’une danse de plantation appelée « cakewalk » [1] (le pas du gâteau) : sur un rythme à 2/4 fortement marqué par la main gauche (influence de la marche : faire la pompe), la main droite joue une mélodie très syncopée basée sur une succession théorique de 8 doubles croches accentuées selon un décalage ternaire. Une autre origine du ragtime est la bamboula (danse africaine).
Cette façon de diviser la mesure selon une constante qui relève plus de la métrique que de l’accentuation proprement dite trahit, selon Borneman, « une origine et une approche incontestablement africaines ». Ainsi, le plus européen des matériaux du jazz renvoie quand même, au-delà de l’harmonie occidentale, aux sources africaines.
Forme fixe à l’origine, le ragtime (on dit également : rag) évoluera rapidement, ne gardera plus que 2 parties (dont, généralement, la 3ème de la forme originale), se jouera en tempo plus rapide, intégrera les blues notes qui lui étaient étrangères à ses débuts et laissera une large place à l’improvisation. Ainsi se fera le passage au jazz et au style de piano stride illustré par l’école de New York avec James P. Johnson, Fats Waller, …
Le ragtime est un mélange d’influences blanches et noires : l’influence noire apparaît dans l’utilisation de rythmes syncopés qui créent un déhanchement dansant ; l’influence blanche se marque par l’aspect composé du ragtime, qui possède plusieurs parties et plusieurs mélodies enchaînées et un accompagnement de style marche (issu de la fanfare) que la main gauche effectue (= faire la pompe). Scott Joplin est le compositeur de ragtime le plus connu à l’origine. Plus tard, avec des personnalités comme Jelly Roll Morton, le ragtime inclut une part d’improvisation.
A son succès contribuent de façon déterminante l’impression musicale et les cylindres des pianos mécaniques grâce auxquels les interprètes-compositeurs fixent acoustiquement leurs créations ambitieuses, parfois extrêmement compliquées, en premier lieu Scott Joplin (Maple Leaf Rag), puis Tom Turpin et James Scott.
Contrairement au blues, au gospel, aux chants de travail, expression de l’esclavage et de la misère à l’état brut, le ragtime est d’emblée une musique élaborée, pratiquée par la petite frange des Noirs cultivés, connaissant la musique et, en particulier, l’œuvre des grands compositeurs européens pianistiques du 19ème siècle (Chopin, Liszt…).
[1] Cake-walk : danse de caractère grotesque issue du folklore noir américain, au rythme très syncopé et notée à 2/4. Elle tient son nom d’une ancienne coutume du Sud des Etats-Unis, qui consistait à récompenser d’un gâteau (= cake) l’esclave qui avait le plus brillamment dansé. Ayant traversé l’Atlantique aux alentours de 1900, le cake-walk a été utilisé au music-hall et dans l’opérette, et a inspiré à Claude Debussy une pièce de son Children’s Cornerpour piano, Golliwogg’s cake-walk. Le cake-walk serait lui-même issu d’une danse collective marchée en rond appelée walk-around ou promenade.
Le « ragtime » :
LES SOURCES DU RAGTIME
Contrairement à ce que croient bien des gens, le ragtime n’est pas né ex nihilo du cerveau, des doigts et de la plume de Scott Joplin. Il était dans l’air, sous forme de musiques et de danses populaires. Tout d’abord, Joplin ne fut pas le seul, il s’en faut de beaucoup, à écrire cette musique pour piano que fut le ragtime classique, mais ce que lui, ses pairs et ses élèves firent, ce fut de mettre en forme rigoureusement structurée ce genre musical, c’est-à-dire en quelque sorte de transformer des pots-pourris en compositions cohérentes. Le premier rag publié par Joplin s’appelle d’ailleurs, rappelons-le, Original Rags, au pluriel, ce qui laisse voir à l’oeuvre cette volonté de synthétiser des thèmes variés. Ce qu’on oublie trop, en effet, ou ce qu’on ignore, c’est qu’il existait des folk rags, des rags populaires de divers styles bien avant la publication des premiers rags pour piano (Mississippi Rag, de William H. Krell, et Harlem Rag, de Tom Turpin, tous deux de 1897). Ces rags populaires étaient chantés, dansés, joués au banjo ou sur de méchants pianos. Ils provenaient en partie de fragments de mélodies de plantations transmises oralement, mais beaucoup plus encore, semble-t-il, du répertoire des minstrels.
a) Généralités :
Style musical, essentiellement pianistique, probablement apparu dans la région de Saint Louis vers la fin de la guerre de Sécession ; il domina largement la musique populaire américaine entre 1880 et 1915.
Comme le note Reimer Von Essen (in Une Histoire du jazz), il s’agit là certainement de « la forme la plus européenne de la musique afro-américaine […] issue d’une application des techniques musicales noires aux formes popularisées de la musique de salon européenne de cette époque, marches, polonaises, polkas quadrilles ».
Les principaux représentants de ce style, Scott Joplin (Maple Leaf Rag, 1899), Tom Turpin, Louis Chauvin, Eubie Blake et Scott Hayden, sont issus de la bourgeoisie noire cultivée.
Contrairement à ce que croient bien des gens, le ragtime n’est pas né ex nihilo du cerveau, des doigts et de la plume de Scott Joplin. Il était dans l’air, sous forme de musiques et de danses populaires. Tout d’abord, Joplin ne fut pas le seul, il s’en faut de beaucoup, à écrire cette musique pour piano que fut le ragtime classique, mais ce que lui, ses pairs et ses élèves firent, ce fut de mettre en forme rigoureusement structurée ce genre musical, c’est-à-dire en quelque sorte de transformer des pots-pourris en compositions cohérentes. Le premier rag publié par Joplin s’appelle d’ailleurs, rappelons-le, Original Rags, au pluriel, ce qui laisse voir à l’oeuvre cette volonté de synthétiser des thèmes variés. Ce qu’on oublie trop, en effet, ou ce qu’on ignore, c’est qu’il existait des folk rags, des rags populaires de divers styles bien avant la publication des premiers rags pour piano (Mississippi Rag, de William H. Krell, et Harlem Rag, de Tom Turpin, tous deux de 1897). Ces rags populaires étaient chantés, dansés, joués au banjo ou sur de méchants pianos. Ils provenaient en partie de fragments de mélodies de plantations transmises oralement, mais beaucoup plus encore, semble-t-il, du répertoire des minstrels.
a) Généralités :
Style musical, essentiellement pianistique, probablement apparu dans la région de Saint Louis vers la fin de la guerre de Sécession ; il domina largement la musique populaire américaine entre 1880 et 1915.
Comme le note Reimer Von Essen (in Une Histoire du jazz), il s’agit là certainement de « la forme la plus européenne de la musique afro-américaine […] issue d’une application des techniques musicales noires aux formes popularisées de la musique de salon européenne de cette époque, marches, polonaises, polkas quadrilles ».
Les principaux représentants de ce style, Scott Joplin (Maple Leaf Rag, 1899), Tom Turpin, Louis Chauvin, Eubie Blake et Scott Hayden, sont issus de la bourgeoisie noire cultivée.
Transposé à la guitare, le style abandonna la stricte structure musicale qui caractérisait le ragtime « classique » et devint caractéristique des bluesmen de la côte Est, Blind Blake ou Blind Willie McTell en particulier : jeu syncopé, en tempo rapide, sollicitant souvent la progression d’accords do-la-ré-sol-do (anatole), avec une ligne de basses en contrepoint d’une ligne mélodique jouée sur les cordes aiguës.
« Ragtime » est aussi le surnom du songster Henry « Ragtime » Thomas (1874-1930).
Les écoles du ragtime Après avoir beaucoup voyagé dans le Texas, la Louisiane et d’autres Etats riverains du Mississippi comme le Missouri, l’Arkansas et le Kansas, les pionniers du ragtime se sont fixés dans des centres urbains. A la suite de l’initiateur Scott Joplin, on trouve plusieurs berceaux du rag, qui correspondent à autant de phases de son évolution. L’école de Sedalia est surtout représentée par la figure mythique de Scott Joplin dont nous ne possédons d’autres traces que l’enregistrement de ses rouleaux de piano perforés. Parmi les disciples de Joplin, on compte Arthur Marshall, Scott Hayden, Brun Campbell… L’école de Saint Louis se réunit autour de l’éditeur Johnny Stark qui a publié de nombreux compositeurs dont, bien sûr, l’indispensable Scott Joplin, mais aussi des musiciens noirs et blancs qui ont pour nom : James Scott, Joseph Lamb, Tom Turpin, Louis Chauvin, Artie Matthews, Charles L. Johnson, Percy Weinrich, Charles Hunter…
•L’école de La Nouvelle-Orléans est sensiblement différente. Deux hommes dominent ce courant qui annonce déjà le jazz. Tony Jackson et surtout Jelly Roll Morton, qui fait ses débuts dans le rag avant de jouer un rôle charnière dans le jazz de La Nouvelle Orléans.
•L’école de Harlem, qui apporte un changement radical de l’interprétation du ragtime en donnant naissance au stride, un jeu pianistique extrêmement virtuose, basé sur la syncope de la main gauche, les tempos très rapides, les riffs répétitifs et les passages chromatiques. Avec le piano stride, des premières joutes instrumentales des années 20 jusqu’à l’accomplissement magistral d’Art Tatum, nous entrons déjà dans l’histoire du piano jazz. Les spécialistes du ragtime classique ont coutume de réunir sous l’appellation sacrée de The Magnificent Trinity (La Trinité Magnifique) le groupe composé de Scott Joplin, le père fondateur, James Scott, le fils spirituel et Joseph Lamb, l’apôtre blanc du Saint-Esprit.
b) Etude historique et musicale :
Le ragtime (de l’anglais ragged = heurté, haché, désordonné ([rag = chiffon, lambeau]) est un style de piano en vogue entre 1880 et 1915 (il s’est développé à partir d’environ 1870 ; le terme apparaît dès les premières publications imprimées à partir des années 1890), qui naquit dans le Missouri (au sud-ouest des Etats-Unis : Sedalia, Saint-Louis) et fut, avec le blues, un des éléments constitutifs du jazz. Musique écrite et publiée, jouée à l’origine en tempo modéré (« It’s never rag to play ragtime fast », avait coutume de dire Scott Joplin : il faut éviter les éclats de virtuosité), le ragtime, qui, à la différence du blues, se veut gai et enjoué, se compose généralement de quatre parties ou « strains » (= airs) de 16 mesures avec reprise disposées selon le schéma AABBACCDD, avec modulation et parfois interlude de deux ou quatre mesures entre chaque partie et souvent noté à 2/4. Cette coupe typiquement occidentale est inspirée de la polka et du quadrille (Tiger Ragvient du vieux quadrille intitulé Praline), mais plus encore, certainement, de certaines marches militaires jouées par les fanfares alors très répandues aux Etats-Unis, et qui finirent par inscrire elles-mêmes des cakewalks et desragtimes à leur répertoire.
Rythmiquement, on fait dériver le ragtime d’une danse de plantation appelée « cakewalk » (le pas du gâteau) : sur un rythme à 2/4 fortement marqué par la main gauche (influence de la marche : faire la pompe), la main droite joue une mélodie très syncopée basée sur une succession théorique de 8 doubles croches accentuées selon un décalage ternaire. Une autre origine du ragtime est la bamboula (danse africaine).
Cette façon de diviser la mesure selon une constante qui relève plus de la métrique que de l’accentuation proprement dite trahit, selon Borneman, « une origine et une approche incontestablement africaines ». Ainsi, le plus européen des matériaux du jazz renvoie quand même, au-delà de l’harmonie occidentale, aux sources africaines.
Forme fixe à l’origine, le ragtime (on dit également : rag) évoluera rapidement, ne gardera plus que 2 parties (dont, généralement, la 3ème de la forme originale), se jouera en tempo plus rapide, intégrera les blues notes qui lui étaient étrangères à ses débuts et laissera une large place à l’improvisation. Ainsi se fera le passage au jazz et au style de piano stride1 illustré par l’école de New York avec James P. Johnson, Fats Waller, …
Le ragtime est un mélange d’influences blanches et noires : l’influence noire apparaît dans l’utilisation de rythmes syncopés qui créent un déhanchement dansant ; l’influence blanche se marque par l’aspect composé du ragtime, qui possède plusieurs parties et plusieurs mélodies enchaînées et un accompagnement de style marche (issu de la fanfare) que la main gauche effectue (= faire la pompe). Scott Joplin est le compositeur de ragtime le plus connu à l’origine. Plus tard, avec des personnalités comme Jelly Roll Morton, le ragtime inclut une part d’improvisation.
A son succès contribuent de façon déterminante l’impression musicale et les cylindres des pianos mécaniques grâce auxquels les interprètes-compositeurs fixent acoustiquement leurs créations ambitieuses, parfois extrêmement compliquées, en premier lieu Scott Joplin (Maple Leaf Rag), puis Tom Turpin et James Scott.
Contrairement au blues, au gospel, aux chants de travail, expression de l’esclavage et de la misère à l’état brut, le ragtime est d’emblée une musique élaborée, pratiquée par la petite frange des Noirs cultivés, connaissant la musique et, en particulier, l’œuvre des grands compositeurs européens pianistiques du 19ème siècle (Chopin, Liszt…).
novelty piano
Le ragtime classique a connu son heure de gloire pendant une vingtaine d’années. Vers la fin des années 1910, il est devenu un peu répétitif, car des centaines de rags ont étés écrits pour répondre à l’engouement qu’il a suscité, de sorte que tous les morceaux finissaient par se ressembler. A cette époque, le piano mécanique était très répandu car il permettait de jouer à volonté des airs de musique à la mode, avec une sonorité évidemment excellente par rapport aux enregistrements phonographiques qui restaient encore très marginaux. De nombreuses maisons d’édition ont saisi ce marché en vendant les rouleaux (piano rolls) correspondant aux musiques du moment. Le client qui achetait ces rouleaux voulait en avoir pour son argent, aussi les compagnies n’hésitaient-elles pas à rajouter des notes sur le rouleau pour rendre la musique plus « brillante », et privilégiaient les interprètes virtuoses pour les enregistrements des rouleaux. C’est ainsi qu’est apparu le « novelty piano », une forme complexe et recherchée du ragtime, qui est principalement fondée sur des « progressions chromatiques » dans la mélodie et le souci constant d’épater l’auditeur par des ornementations et un rythme « décoiffant ».
stride
Le piano stride est un dérivé du ragtime apparu dans les années 1920-30, qui apporte deux nouvelles caractéristiques :
•Au niveau de l’accompagnement, les basses (temps 1 et 3) ne sont plus des octaves mais des notes graves uniques incisives, ou bien des dixièmes, plus « harmoniquement » agréables à entendre que les lourds octaves du ragtime. Ces dixièmes sont souvent jouées « roulées », c’est-à-dire que la première note de la dixième est jouée légèrement avant la seconde :
•Le rythme est en général beaucoup plus élevé qu’en ragtime classique et le passage rapide des basses (temps 1 et 3) aux accords plaqués (temps 2 et 4) a donné le nom de stride piano (stride = enjambées) à ce style de musique. D’autre part, l’élévation du tempo a obligé à jouer les accords de manière plus sèche qu’en ragtime classique. Au niveau rythmique, c’est le swing, c’est-à-dire le vrai rythme de jazz, qui prend le dessus, donnant au stride un air plus décontracté.
L’école de Harlem : le stride Stade ultime de la modernisation du ragtime, le stride se développe à New York, et particulièrement dans le Harlem des années 20 et 30. Le verbe to stride signifie marcher à grandes enjambées, faisant ainsi allusion au mouvement de la main gauche chargée de marquer une basse sur les premier et troisième temps de la mesure, à laquelle répondent à l’octave supérieure ou encore plus haut, des accords plaqués, fournis et complexes, sur les deuxième et quatrième temps. Le balancement rythmique est d’autant plus ample que l’écart entre la basse et l’accord est éloigné. De plus, apparaît peu à peu une conception ternaire du rythme qui remplace le binaire en usage dans le ragtime. La plupart des pianistes de stride sont d’une vélocité étonnante et leurs prestations ressemblent par fois à de vraies performances physiques.
Après la Première Guerre mondiale, il n’est pas rare de voir des affrontements de pianistes dans les rent parties(soirées organisées pour payer le loyer) ou les jam sessions de Harlem. Les meilleurs d’entre eux se livrent un duel sans merci au cours de cutting contests redoutables où l’on se défie en improvisant sur un même thème et en utilisant le tempo le plus rapide possible sans jamais perdre la netteté de l’attaque. Parmi les plus redoutables, il faut compter le brillantissime James P. Johnson qui s’impose pendant de nombreuses années auprès d’autres pianistes de grands talents comme Eubie Blake, Lucky Roberts, Willie « The Lion » Smith, Donald Lambert, Cliff Jackson, Abba Labba. Nous n’en retiendrons que trois parmi les plus archétypiques de cette période, sans oublier le brillant Fats Waller qui régénérera le genre avant d’influencer à son tour le plus transcendant et vertigineux pianiste de toute l’histoire du jazz : Art Tatum, que nous aborderons plus loin dans le chapitre consacré à l’ère du swing.
honky-tonk piano
Le « Honky-Tonk piano » ou « Barrelhouse piano »
De honky (honkey, honkie). Africain : du wolof hong, rouge, avec probable convergence avec hunkie, terme utilisé par les Américains blancs pour désigner les immigrants hongrois (puis plus largement d’Europe centrale). D’où : Blanc, les Blancs. Il s’agit là d’un terme à connotations négatives, popularisé vers la fin des années 1960 par lesBlack Muslims et le Black Power.
Depuis 1900, le honky-tonk est un bistrot, dancing et tripot, beuglant de la plus basse catégorie :
« Chaque coin de mon quartier avait un honky-tonk. Il y avait "Chez Spano"; "Chez Kid Brown", "Chez Matranga" et "Chez Henry Ponce". La première salle du honky-tonk était le salon et, dans le fond, il y avait deux autres pièces. L’une d’elles était une salle de jeux, l’autre une salle de bal. »
Depuis 1900, le honky-tonk est un bistrot, dancing et tripot, beuglant de la plus basse catégorie :
« Chaque coin de mon quartier avait un honky-tonk. Il y avait "Chez Spano"; "Chez Kid Brown", "Chez Matranga" et "Chez Henry Ponce". La première salle du honky-tonk était le salon et, dans le fond, il y avait deux autres pièces. L’une d’elles était une salle de jeux, l’autre une salle de bal. »
Interview de Louis Armstrong, par Richard Meryman, Life, 1966, in Jazz Magazine n° 180, 1970.
« They work all the week, saturday night they take a bath and they go to the juke1, call it the juke, the honky-tonk, barrelhouse, then they go down there and gamble until Sunday morning. Well anyway they had somebody playing in the front, somebody be playing the piano, me or somebody else… »
Interview de Little Brother Montgomery, cité par Giles Oakley dans The Devil’s Music.
Cette pratique fut tellement courante qu’elle en donna son nom au style de musique jouée dans les bordels des grandes villes du Sud : on y reconnaît l’influence du jeu de guitare des chanteurs de blues archaïques. Ce style est l’ancêtre du boogie-woogie.
D’autre part, on nomme « Honky-Tonk Train », un train comportant un wagon spécial, équipé d’un piano, où l’on pouvait danser et où de nombreux pianistes de boogie-woogie (Albert Ammons par exemple ont eu l’occasion de se produire ; de tels trains circulaient en particulier sur la ligne de l’Illinois Central (I.C.) : Honky Tonk Train Blues, Meade Lux Lewis (1927).
Barrelhouse (anglais barrel, « barrique ») : dans les villes du Sud des Etats-Unis, saloon ou tripot de basse catégorie, où, du début du 20ème siècle aux années 1930, s’est créé un style de piano (barrelhouse piano), imité des guitaristes de blues ruraux, qui devait devenir le boogie-woogie (synonyme de barrelhouse : Honky-tonk). Les Barrelhouses ou honky tonks sont donc des sortes de tavernes, de bouges sales et bruyants, situés dans les quartiers noirs pauvres du Sud des Etats-Unis (établissement où l’on dansait, buvait et jouait).
rent party
Les « Rent Party »
Rent = loyer. Partie donnée dans un appartement afin de récolter une participation aux frais pour payer le loyer. Ces parties étaient très populaires dans les grandes villes et assuraient aux bluesmen qui y jouaient un petit bénéfice. De nombreux bluesmen ont commencé leur carrière de cette manière.
La « Rent Party » est une soirée donnée par quelqu’un afin de recueillir l’argent nécessaire au paiement de son loyer ; les invités payaient pour la nourriture et la boisson, quelquefois pour l’entrée :
« A Harlem comme dans tous les ghettos des villes du Nord, le seul moyen pour bien des Noirs de pouvoir payer les loyers excessifs de leurs appartements consistait à organiser des soirées où les invitées apportaient leur quote-part. Le pianiste était chargé d’attirer les gens dans un bar, un café ou l’appartement lui-même, grâce au dynamisme de son jeu et les meilleurs pianistes se faisaient entendre de très loin. Il était donc important que le piano ait une sonorité "de bastringue" et il était même parfois traité avec des journaux que l’on plaçait derrière les marteaux ou de l’étain dont on recouvrait les feutres pour obtenir l’effet désiré. »
La « Rent Party » est une soirée donnée par quelqu’un afin de recueillir l’argent nécessaire au paiement de son loyer ; les invités payaient pour la nourriture et la boisson, quelquefois pour l’entrée :
« A Harlem comme dans tous les ghettos des villes du Nord, le seul moyen pour bien des Noirs de pouvoir payer les loyers excessifs de leurs appartements consistait à organiser des soirées où les invitées apportaient leur quote-part. Le pianiste était chargé d’attirer les gens dans un bar, un café ou l’appartement lui-même, grâce au dynamisme de son jeu et les meilleurs pianistes se faisaient entendre de très loin. Il était donc important que le piano ait une sonorité "de bastringue" et il était même parfois traité avec des journaux que l’on plaçait derrière les marteaux ou de l’étain dont on recouvrait les feutres pour obtenir l’effet désiré. »
Eileen Southern in Histoire de la musique noire américaine.
« Back in those old house rent party days
We didn’t make no money
But we had a lot of fun »
We didn’t make no money
But we had a lot of fun »
Chicago Rent Party, Memphis Slim (1960).
Cette pratique devint, sous différentes dénominations – blue monday party, breakdown, callico hop, chitterling rags, gouge, house hop, house shout, juggle and struggle, kado, parlor social, percolator, shout, skiffle, skittle, stomp, struggle, too terrible party, too tight party – une véritable institution dans tous les centres urbains du Nord et du Sud.
Montana Taylor, Romeo Briggs, Romeo Nelson, Charles Avery, Dan Burley, Clarence « Pinetop » Smith animèrent de nombreuses rent parties et Estelle « Mama » Yancey, femme de Jimmy Yancey, y fit même la majeure partie de sa carrière :
« J’avais un circuit, un endroit où jouer chaque soir. Remarquez, si on se faisait 50 ou 35 cents sur la soirée, pour pianoter pendant trois ou quatre heures, on n’avait pas à se plaindre. Les gens avaient besoin d’argent pour leur loyer et c’est pour ça qu’ils organisaient ces fêtes. »
Montana Taylor, Romeo Briggs, Romeo Nelson, Charles Avery, Dan Burley, Clarence « Pinetop » Smith animèrent de nombreuses rent parties et Estelle « Mama » Yancey, femme de Jimmy Yancey, y fit même la majeure partie de sa carrière :
« J’avais un circuit, un endroit où jouer chaque soir. Remarquez, si on se faisait 50 ou 35 cents sur la soirée, pour pianoter pendant trois ou quatre heures, on n’avait pas à se plaindre. Les gens avaient besoin d’argent pour leur loyer et c’est pour ça qu’ils organisaient ces fêtes. »
Interview de Georgia Tom (1976), citée par Giles Oakley dans The Devil’s Music.
boogie woogie
Style pianistique de jazz né dans le Sud des Etats-Unis. Le boogie-woogie se joue généralement dans le cadre du blues. Tandis que la main gauche martèle en ostinato un rythme formé d’une longue et d’une brève, la main droite trace des lignes mélodiques très simples, de caractère essentiellement rythmique, souvent répétitives. Le boogie-woogie est à l’origine une manière spéciale d’interpréter le blues au piano qui semble avoir pris naissance dans les barrelhouses et honky tonks au début du 20ème siècle, spécialement au Texas.
« Boogie-woogie » est un terme américain d’étymologie incertaine. L’onomatopée boogie-woogie, imitation phonétique, renvoie au rythme produit sur le clavier par la main gauche marquant imperturbablement huit battements par mesure, ce rythme lui-même suggérant le bruit continuel des roues motrices et des wagons passant sur les extrémités des rails (boogies), supportées par leurs éclisses. Little Brother Montgomery, imitant le jeu de main gauche, dit dans un entretien avec un journaliste de la BBC : « C’est ainsi que font les basses, et ainsi que font les trains ». Le terme « boogie-woogie » évoque aussi les rapports sexuels : woogie signifie penis et le verbe woogie signifiebaiser (Want to Woogie Some More, Washboard Sam [1937]). C’est aussi le surnom du bluesman “Boogie” Bill Webb (1924-1990). Le « boogie-woogie » est aussi une danse…
C’est une musique de piano afro-américaine qui s’est développée dans les régions rurales du sud et du sud-est des Etats-Unis. Elle représente apparemment le phénomène le plus original d’un ensemble de musique pianistique qui peut s’interpréter comme un effort de mise en tablature (arrière-plan « blues »). Sous le nom de « barrelhouse piano » [1], on la rencontre depuis la fin du 19ème siècle. Ce que l’on a appelé le barrelhouse piano était un style à base de blues, très puissant, simple et direct. Le terme indique ses liens fonctionnels (« barrelhouse » = taverne primitive avec service au tonneau). Le boogie-woogie prend son aspect idiomatique vers 1920-30, principalement grâce aux réunions de société dans les maisons particulières (« house-rent parties ») des grandes villes du nord des Etats-Unis (Chicago).
Dans un mouvement le plus souvent rapide, des éléments structurels sont additionnés par improvisation au moyen de la forme « blues » sans qu’un modèle soit réellement imposé. La distance accusée qui sépare la basse du chant est symptomatique du partage fonctionnel des mains. La main gauche réalise une figure continue (« walking bass ») jouant le rôle de fondement harmonique (comme dans le futur rock and roll). Au-dessus de cette basse, la main droite exécute des « clusters » (qui s’efforcent de rendre au piano les « blues notes »), des trémolos et des trilles (moyens de prolongation du son à côté de la pédale), des fragments de gamme, des accords, en phrasant selon l’« off-beat ». Selon les traditions africaines, le piano est traité comme un instrument à percussion. Parmi les pianistes de boogie-woogie les plus connus et les plus importants, il faut citer, dans une première génération, Cow Cow Davenport, Cripple Clarence Lofton, Jimmy Yancey ; dans une seconde génération, Albert Ammons, Pete Johnson, Meade Lux Lewis, Clarence « Pine Top » Smith (Pinetop’s Boogie-Woogie, 1928).
[1] Barrelhouse (anglais barrel, « barrique ») : dans les villes du Sud des Etats-Unis, saloon ou tripot de basse catégorie, où, du début du 20ème siècle aux années 1930, s’est créé un style de piano (barrelhouse piano), imité des guitaristes de blues ruraux, qui devait devenir le boogie-woogie (synonyme de barrelhouse : Honky-tonk). Les Barrelhouses ou honky tonks sont donc des sortes de tavernes, de bouges sales et bruyants, situés dans les quartiers noirs pauvres du Sud des Etats-Unis.
« Boogie-woogie » est un terme américain d’étymologie incertaine. L’onomatopée boogie-woogie, imitation phonétique, renvoie au rythme produit sur le clavier par la main gauche marquant imperturbablement huit battements par mesure, ce rythme lui-même suggérant le bruit continuel des roues motrices et des wagons passant sur les extrémités des rails (boogies), supportées par leurs éclisses. Little Brother Montgomery, imitant le jeu de main gauche, dit dans un entretien avec un journaliste de la BBC : « C’est ainsi que font les basses, et ainsi que font les trains ». Le terme « boogie-woogie » évoque aussi les rapports sexuels : woogie signifie penis et le verbe woogie signifiebaiser (Want to Woogie Some More, Washboard Sam [1937]). C’est aussi le surnom du bluesman “Boogie” Bill Webb (1924-1990). Le « boogie-woogie » est aussi une danse…
C’est une musique de piano afro-américaine qui s’est développée dans les régions rurales du sud et du sud-est des Etats-Unis. Elle représente apparemment le phénomène le plus original d’un ensemble de musique pianistique qui peut s’interpréter comme un effort de mise en tablature (arrière-plan « blues »). Sous le nom de « barrelhouse piano » [1], on la rencontre depuis la fin du 19ème siècle. Ce que l’on a appelé le barrelhouse piano était un style à base de blues, très puissant, simple et direct. Le terme indique ses liens fonctionnels (« barrelhouse » = taverne primitive avec service au tonneau). Le boogie-woogie prend son aspect idiomatique vers 1920-30, principalement grâce aux réunions de société dans les maisons particulières (« house-rent parties ») des grandes villes du nord des Etats-Unis (Chicago).
Dans un mouvement le plus souvent rapide, des éléments structurels sont additionnés par improvisation au moyen de la forme « blues » sans qu’un modèle soit réellement imposé. La distance accusée qui sépare la basse du chant est symptomatique du partage fonctionnel des mains. La main gauche réalise une figure continue (« walking bass ») jouant le rôle de fondement harmonique (comme dans le futur rock and roll). Au-dessus de cette basse, la main droite exécute des « clusters » (qui s’efforcent de rendre au piano les « blues notes »), des trémolos et des trilles (moyens de prolongation du son à côté de la pédale), des fragments de gamme, des accords, en phrasant selon l’« off-beat ». Selon les traditions africaines, le piano est traité comme un instrument à percussion. Parmi les pianistes de boogie-woogie les plus connus et les plus importants, il faut citer, dans une première génération, Cow Cow Davenport, Cripple Clarence Lofton, Jimmy Yancey ; dans une seconde génération, Albert Ammons, Pete Johnson, Meade Lux Lewis, Clarence « Pine Top » Smith (Pinetop’s Boogie-Woogie, 1928).
[1] Barrelhouse (anglais barrel, « barrique ») : dans les villes du Sud des Etats-Unis, saloon ou tripot de basse catégorie, où, du début du 20ème siècle aux années 1930, s’est créé un style de piano (barrelhouse piano), imité des guitaristes de blues ruraux, qui devait devenir le boogie-woogie (synonyme de barrelhouse : Honky-tonk). Les Barrelhouses ou honky tonks sont donc des sortes de tavernes, de bouges sales et bruyants, situés dans les quartiers noirs pauvres du Sud des Etats-Unis.
Étymologie des mots boogie et woogie
BOOGIE (Bogie, bogey) :
1. Soirée dansante.
2. Femme éthiopienne, Noire.
3. Dans certaines contrées du Sud, vérole : Boogie Disease, Dr Ross (1954).
BOOGIE GIRL. Prostituée. BOOGIE HOUSE bordel.
4. Mauvais, diabolique.
BOOGIE MAN. Equivalent américain du "père Fouettard".
5. Abréviation de boogie-woogie :
"I want you to pull up your blouse
Let down on your skirt
Get down so low you think you're in the dirt
Now when I say "Boogie"
I want you to boogie
When I say "Stop"
I want you to stop right still"
Let down on your skirt
Get down so low you think you're in the dirt
Now when I say "Boogie"
I want you to boogie
When I say "Stop"
I want you to stop right still"
Slow Boogie, Champion Jack Dupree (1943).
6. Elément du titre de morceaux rapides mais pas nécessairement de facture "boogie-woogie" : Blue 'N' Boogie, Dizzy Gillespie (1945).
7. Prendre du bon temps, faire la bringue.
8. Danser le boogie-woogie :
7. Prendre du bon temps, faire la bringue.
8. Danser le boogie-woogie :
"My baby like to boogie
My baby like to rock and roll
She's a real cool swinger
'cause she's got so much soul"
My baby like to rock and roll
She's a real cool swinger
'cause she's got so much soul"
Two Times Nine, Eddie Clearwater (ca 1980).
Surnom du bluesman "Boogie" Bill Webb (1924-1990).
PITCH A BOOGIE :
(1) Faire du tapage, du grabage.
(2) Organiser une rent party ou faire la nouba :
PITCH A BOOGIE :
(1) Faire du tapage, du grabage.
(2) Organiser une rent party ou faire la nouba :
"We're going to pitch a boogie woogie
Going to have a ball tonight
And we ain't going to fuss
And we ain't going to fight"
Going to have a ball tonight
And we ain't going to fuss
And we ain't going to fight"
We Gonna Pitch a Boogie Woogie, Harlem Hamfats, vcl par Joe McCoy (1936)
WOOGIE :
1. Traverse de bois soutenant les rails.
2. Pénis :
1. Traverse de bois soutenant les rails.
2. Pénis :
"But you can take me, pretty baby
And jump me in your big brass bed
I want you to boogie my woogie
'til my face turn cherry red "
And jump me in your big brass bed
I want you to boogie my woogie
'til my face turn cherry red "
Cherry Red, Big Joe Turner (ca. 1960).
3. V. Baiser :Want to Woogie Some More, Washboard Sam (1937).