Étymologie “jazz”
octobre 15, 2018
De très nombreuses étymologies ont été avancées pour ce mot. On a cherché des connotations différentes : connotation sexuelle et vulgaire ; connotation anecdotique ou encore une théorie translinguistique...
Connotation sexuelle et vulgaire
C’est à San Francisco, au tournant du siècle, que l’on trouve la première trace écrite du mot « jazz », sous les formes Jass, Jasmo, Jismo : dans les chroniques sportives d’un journal local. Il y désigne l’énergie, une force incroyable, la « grande forme ». Mais il est plus ancien. Dans le jargon noir, qui certes n’était pas imprimé, Jass était une obscénité, ayant — comme beaucoup de termes appartenant à la musique populaire — des implications sexuelles. Les chanteuses de blues disaient : « Give me your jazz » ou encore « I don’t want your jazz ».
•spasm = énergisme, dynamisme, vitalité.
•« jazz » serait une déformation de l’argot américain jism (= « sperme »).
•Le verbe to jazz (« faire l’amour ») présente une connotation sexuelle et vulgaire.
Connotation anecdotique
Un musicien d’autrefois se serait appelé Jasbo (ou Jazzbo ou Jazbo) Brown à qui le public criait : « More, Jaz ! ». On trouve cette histoire, anonyme, la première fois dans l’article « Jazz origin again discovered » in Music Trade Review (14 juin 1919).
C’était à Chicago, au café Schiller, tenu par un nommé Sam Hare, dans la 31ème avenue. Il y avait là un négro nommé Jasbo Brown, qui avait recruté un orchestre. Jasbo jouait du piccolo (le piccolo est un instrument aigu de la famille des bugles) ; il jouait aussi du cornet à pistons, pour varier les plaisirs de ses auditeurs. Quand il n’avait pas bu, la musique de ses instruments était à peu près possible. Mais quand il avait absorbé quelques cocktails ou quelques verres de genièvre cela devenait de la musique exaspérée, quelque chose comme les cornets à bouquin de nos Mardi Gras d’autrefois. Et les clients du café raffolaient des sonorités désordonnées du piccolo de Jasbo. Plus c’était faux, plus ils étaient contents, et plus ils lui offraient des verres de genièvre. Et lui criaient : « Encore, Jasbo ! » et par abréviation : « Encore, Jazz ! ».
SCHNEIDER Louis, in La musique de plein air : de l’accordéon au jazz-band, 1924.
En 1926, l’histoire réapparaît :
Tout le monde est maintenant d’accord outre-Atlantique ; c’est à Chicago, dans la 31ème avenue, au café Schiller, qu’est né S.M. le Jazz. Le propriétaire de l’établissement, un certain Sam Have (sic !), avait engagé en 1915 un nègre : Jasbo Brown. Celui-ci jouait tour à tour, pour distraire les clients, de plusieurs instruments : piston, flûte, clarinette, hautbois. A jeun, l’artiste exécutait des mélodies agréables, mais lorsque les cocktails faisaient leur œuvre, il soufflait dans un instrument, en saisissait brusquement un autre et en tirait des sons cacophoniques autant qu’ahurissants. Ce nègre, comme tous ses congénères, avait un sentiment puissant du rythme. Et ses improvisations d’homme ivre amusaient les consommateurs qui lui criaient : « Allez, Jasbo ! ». Il eût bientôt de nombreux imitateurs à travers l’Amérique. Ils firent comme Jasbo. D’où l’abréviation « jas » devenue « jazz ».
Anonyme, « D’où vient S.M. le Jazz ? » in Courrier Musical, 1er mars 1926.
Irving Schwerke, en 1926 (« Le jazz est mort ! Vive le jazz ! » in Guide du Concert, 19 mars), critiques beaucoup ces anecdotes : « Le jazz n’a pas de date, et toutes les tentatives qu’on a faites pour lui en donner une sont sans portée… ».
On trouve malgré tout des variations de cette anecdote :
Le mot jazz, doit-il son origine à un musicien noir nommé Jess qui jouait d’une certaine façon saccadée, qui se popularisa au point que l’on dit communément To play like Jess, To play Jess par abréviation, puis jazz par déformation, c’est là l’explication que m’en donnèrent plusieurs nègres que j’avais interrogés.
GOFFIN Robert, Aux frontières du jazz, Paris : éd. Du Sagittaire, 1932.
Irving Schwerke signale encore une étymologie d’une aberrance totale qui figura dans certains écrits :
Également ridicule et fantaisiste est la théorie (si toutefois elle mérite ce titre) suivant laquelle le mot jazz devrait son origine à un ensemble de quatre instruments qui se trouvait il y a quinze ans environ à la Nouvelle Orléans, et que l’on connaissait sous le nom de “Razz’s Band” (c’est-à-dire, orchestre de Razz)… Le “Razz’s Band” passa par degrés des plus petits cafés de la Nouvelle-Orléans aux plus grands hôtels de cette ville, d’où il gagna New York. C’est là qu’au bout d’un certain temps, Razz’s Band fut métamorphosé en Jazz’s Band ! Il ne serait pas superflu, pour compléter l’histoire, de nous dire pourquoi les habitants de New York trouvèrent la consonne “J” plus agréable à leur palais que la consonne “R.” Et l’on pourrait rapporter quantité de contes aussi fantastiques que les précédents, si toutefois ceux-ci ne suffisaient pas à montrer le caractère ridicule de ce qu’on a écrit sur le jazz et le peu de prix qu’on doit y attacher.
Irving Schwerke, « Le jazz est mort ! Vive le jazz ! » in Guide du Concert, 19 mars 1926
Théorie translinguistique
Le mot jazz serait issu de divers dialectes africains ou du créole.
•africain (on trouverait dans certaines langues africaines des mots voisins) : jazz dériverait du malenke « jasi » qui signifie « vivre intensément », « être excité » (cf. Peter Tamony, Cahiers du jazz I, pp. 78-82) ; du bantou « jaja » (= « danser », « jouer de la musique »).
•créole : le français « jaser ».
Le mot jazz est d’origine française et son application à la musique est la fidèle image de son sens littéral. Il y a 250 ans, la civilisation française trouva un solide point d’appui dans les provinces (plus tard devenues États) de la Louisiane et de la Caroline du Sud. Dans les villes cultivées du Sud (la Nouvelle-Orléans et Charleston), le Français fut pour un certain temps la langue dominante, et, dans les plantations possédées par les Français, c’était la seule langue dont on usât. Les esclaves au service des Français furent obligés d’apprendre la langue de leurs maîtres, ce qu’ils apprennent, des inflexions et des modifications propres à leur race.
S’il faut en croire Larousse, le verbe français jaser signifie causer, bavarder, parler beaucoup. Dans la littérature française, jaser s’applique souvent à une conversation animée sur divers sujets, alors que tout le monde parle ensemble ; et, souvent aussi, jaser traduit plus spécialement un “chuchotement badin sur de petits riens.”
Irving Schwerke, « Le jazz est mort ! Vive le jazz ! » in Guide du Concert, 19 mars 1926
… et bien d’autres encore :
•on évoque aussi, dans l’argot cajun, les prostituées de la Nouvelle-Orléans surnommées « jazz-belles » [souvenir de la Jézabel biblique]
•selon Henry Osborne OSGOOD (in So this is jazz, 1926), le mot jazz serait issu d’une onomatopée.
•Coeuroy et Schaeffner (in Le jazz, 1926) : « Certains le font dériver d’une expression en usage dans les bouges de la Nouvelle-Orléans : Jazz them, boys (qui correspondrait à Hardi, les gars).
A aussi été envisagée la contraction de l’expression raciste des Blancs envers les Noirs Jackass music (« musique d’âne »). En 1975, le critique français Hugues Panassié a proposé cette étymologie défendue par le vibraphoniste Lionel Hampton, qui la tenait d’un vieux Noir de La Nouvelle-Orléans. Le mot viendrait de jackass (âne, bourricot, mais aussi idiot, imbécile, d’où : « musique d’imbéciles »). Cette étymologie a été entendue dans les années 1960, de la bouche du grand clarinettiste Albert Nicholas, né en 1900 à La Nouvelle-Orléans. Elle est doublement séduisante : phonétiquement, car le mot jackass, dans le parler sudiste, se prononce d’un seul accent, en supprimant presque l’émission du « ck » ; graphiquement, car elle explique pourquoi les premières apparitions imprimées du mot ne furent pas « jazz », mais « jass » (1917).