Astor Piazzolla
Biographie
* Il naît à Mar del Plata en Argentine le 11 Mars 1921.
Né le 11 mars 1921, de parents descendants d'immigrés italiens chassés de leur patrie par la misère, Astor Piazzolla les accompagne à New York où ils vont tenter leur chance dès 1925. Il dira lui-même, se souvenant de sa jeunesse « c'était le temps de la prohibition et de la mafia... je traînais plus souvent dans les rues qu'à l'école... mon univers musical se construisit peu à peu à cette époque autour du jazz, de Duke Ellington à Cab Calloway que j'allais écouter à la porte du Cotton Club, n'ayant ni l'âge ni les moyens d'y entrer. Mon père, lui, passait religieusement sur le gramophone les tangos nostalgiques de Carlos Gardel. Pour mon neuvième anniversaire il me fit cadeau d'un bandonéon et je pris des cours avec un professeur qui m'initia à la musique classique. »
Musiciens juifs immigrés en 1933 :
- Apporte une culture « orchestrale », moins improvisée
- Naissance des arrangeurs
C’est le début des interactions entre musique populaire et musique savante.
En 1937, la famille Piazzolla s'en retourne à Mar del Plata, mais très rapidement Astor est attiré par la capitale. A seize ans il s'installe donc à Buenos Aires, louant une petite chambre dans une pension qu'il paie avec ses premiers cachets car il est engagé comme bandonéoniste dans la formation d'Anibal Troïlo, lui-même excellent spécialiste de l'instrument. Parallèlement il poursuit ses études musicales - piano et harmonie - auprès d'un jeune professeur, Alberto Ginastera, qui deviendra un compositeur renommé.
* Son père lui achète son premier bandonéon à l’âge de 8 ans. Très vite, il s’intègre dans les orchestres populaires de tango, notamment celui de Troilo pour lequel il arrangera. Mais il cherche à s’émanciper du tango traditionnel et s’éloigne du maître argentin.
Les références de Piazzolla :
- Pedro L et Pedro Maffia
Ecoute : Pedro e Pedro de Piazzolla : dédié à Leopoldo Federico
- A. Troilo
- Pousse très loin l’expressif bandonéistique (comme Pedro Maffia)
- Grand sens du rythme et de la phrase
- Piazzolla entre dans son orchestre en 1940
Ecoute : Volver
En 1946, Astor monte son premier orchestre "tipica", avec un répertoire exclusif de tangos. Dès lors il commence à essayer d'être Piazzolla :
«... je jouais des arrangements personnels, introduisant le ternaire dans des carrures jusque-là immuables, osant harmonies et contrepoints audacieux. Le succès n'est hélas pas au rendez-vous et Astor est contraint d'abandonner son orchestre. Il cherche sa voie, se remet à étudier avec frénésie, monte un orchestre à cordes, cette fois. Toujours l'insuccès, le goût amer de la désillusion... Il ne se décourage pourtant pas : la dure jeunesse à New York a forgé un caractère opiniâtre, avec ce qu'il faut d'agressivité.
* Il suit des cours de direction d’orchestre et d’harmonie avec Nadia Boulanger à Paris. Il mêlera le langage traditionnel du tango et l’esthétique symphonique dès 1953 dans Symphonie Buenos Aires (scandale à sa création : la police est venue arrêter la salle en chahut total).
Dans les années 50, entreprenant un voyage en Europe pour travailler la direction avec Hermann Scherchen, il rencontre à Paris le professeur de composition Nadia Boulanger. C'est un tournant dans sa vie car il découvre grâce à elle que sa voie n'est pas dans la musique "savante" mais bien dans le tango enrichi des formes classiques, de l'apport du jazz et de ses propres intuitions.
De retour à Buenos Aires, il forme en 1955 son premier octette ; là, il utilise ce qu'il a appris de Ginastera et de Nadia Boulanger, ainsi que les phrasés empruntés au jazz et surtout, il fait swinguer le tango ! C'est absolument nouveau. Bien sûr, c'est un tollé de la part des conservateurs du tango traditionnel, mais il ne changera plus et jouera désormais la carte du tango moderne, fondant notamment un quintette, qui deviendra très célèbre, au sein duquel il militera en faveur du "tango nuevo". Cela lui vaudra une reconnaissance internationale, concerts et enregistrements ne s'arrêteront plus et des années 60 jusqu'à sa mort, en juillet 1992, le succès ira croissant.
Le jazz imprègne beaucoup Piazzolla :
- il rencontre Gerry Muligan (saxo baryton)
- idée de chorus (improvisation) surgit alors… mais c’est plus une variation sur le thème (change le rythme, brode le thème) que de l’impro jazz sur grille d’accords !
Elvino Vardaro (violon solo au « théâtre de Colonne » de Buenos Aires) invente le « violon tango » (avec tous les bruitages, parasitages de sons possibles).
Piazzolla est autodidacte : il ne maîtrise par l’écriture des cordes à ses débuts.
Piazzolla est comme Monk : il part de ce qu’il sait faire à l’instrument pour créer son propre style.
- Piazzolla casse le phrasé (il n’a pas la même technique et maîtrise instrumentale que Federico…)
- La guitare électrique est une signature et une originalité de Piazzolla.
Piazzolla adore la chanson et le tango chanté : influence de Gardel.
Il a collaboré avec H. Ferrer et JL Borges.
Ecoute : Ballade por un loco (= Ballade pour un fou) : pièce qui naît de la collaboration avec Ferrer. Ce fut un succès et repris par Julien Clerc.
Avec Borges (qui n’aime pas le tango), il écrit une musique plus campagnarde : beaucoup de milonga (cf. Milonga de ritchochicane).
Piazzolla va prendre des cours avec A. Ginastera pour étudier la musique savante puis ensuite avec Nadia Boulanger (qui influence Bartok et Piazzolla).
Piazzolla invente une nouvelle structure : « tanguata ».
Piazzolla est un mélodiste mais très rythmé : il fait la synthèse de toute l’histoire du tango.
* Durant toute sa vie, il montre que la musique de tango n’a besoin ni de danse ni de parole. Il en fait une musique à part entière en y appliquant les formes et techniques musicales normalement vouées à d’autres styles musicaux : fugue, contrepoint, cadence, improvisation.
* Elle devient musique de film (Tango, l’Exil de Gardel, Sur de Fernando Solas, Famille d’artistes d’Alfredo Arias).
* Aussi, il crée l’opéra-tango (Maria de Buenos Aires).
* Il mêle à l’orchestre traditionnel guitare électrique, basse, batterie et travaille le son de façon expérimentale.
* Il s’éloigne de cette sonorité rock pour se rapprocher plus spécifiquement du jazz en enregistrant avec le saxophoniste Gerry Mulligan.
* Après une hémorragie cérébrale survenue en 1990, après quoi il reste paralysé, il meurt le 4 juin 1992 en laissant environ 1000 œuvres.
La rencontre avec Nadia Boulanger
Extrait du livre de Nardo Zalko : Paris-Buenos Aires, un siècle de tango (Editions du Félin) dont vient de paraître la nouvelle édition, augmentée et mise à jour.
La crise en Argentine avait aussi déclenché un climat novateur, qui pointait sous les râles des années cinquante, en prélude à l'apparition spectaculaire et controversée du tango d'avant-garde. L'agonie présageait la résurrection.
En 1946, Piazzolla créa son propre orchestre, qu'il abandonna peu à peu pour se consacrer à la composition. Dans le tango de Buenos Aires, deux tendances nettement définies étaient apparues: traditionnelle et évolutionniste. Partant des évolutionnistes, Piazzolla allait propulser un courant d'avant-garde qu'il soutiendra jusqu'aux années quatre-vingt-dix. Il allait influencer profondément tous les musiciens qui continuaient à développer le tango.
En 1950, il inaugurait, avec Para lucirce, son polémique style de composition, tout en glanant des prix pour ses œuvres de musique classique. Il était alors dans une impasse, prêt à abandonner le tango pour se dédier à une musique plus "civilisée. " Une rencontre changea sa vie, et ce rendez-vous avec l'histoire eut lieu à Paris. En 1953, Piazzolla obtint le prix Fabien-Sevitzky pour sa Sinfonía de Buenos Aires, doté d'une bourse du gouvernement français pour étudier avec Nadia Boulanger dans des cours collectifs au conservatoire de Fontainebleau.
Piazzolla et sa femme s'installèrent modestement dans un studio de la rue de Douai prêté par le pianiste Héctor Grané, où ils commencèrent une "belle et inoubliable vie de bohème". Mais Piazzolla voulait des cours particuliers, bien que n'ayant pas les moyens de s'offrir un repas quotidien.
" Quelque chose allégea ma situation. Je découvris que mon thème Prepárense, écrit en 1952, était repris en France par des orchestres de tango. Des droits d'auteur me tombèrent du ciel ", raconta plus tard Piazzolla.
Il arriva chez Nadia Boulanger avec une valise pleine de partitions, toute son œuvre classique. Le maître consacra les deux premières semaines à les analyser. "Un jour, Nadia Boulanger me dit enfin que tout ce que je lui avais montré était bien écrit, mais qu'elle n'en trouvait point l'esprit. Elle me demanda quel genre de musique je jouais dans mon pays, quelles étaient mes inquiétudes, ce que je visais… Je ne lui avais rien dit de mon passé tanguero, et encore moins que mon instrument était le bandonéon, rangé dans l'armoire de ma chambre à Paris. J'ai pensé que si je lui disais la vérité elle allait me jeter par la fenêtre. Nadia avait été condisciple de Ravel, et maître d'Igor Markevitch, Aaron Copland, Leonard Bernstein, Robert Casadesus, Jean Françaix; elle était déjà considérée comme la meilleure pédagogue du monde de la musique, et moi, j'étais simplement un tanguero. "
Deux jours après, Piazzolla avoua qu'il gagnait sa vie en écrivant des arrangements pour orchestres de tango, qu'il avait joué avec Aníbal Troilo et avec son propre orchestre et que, lassé de tout cela, il avait cru que son avenir était dans la musique classique. "Nadia me regarda dans les yeux et me demanda de lui jouer un de mes tangos au piano. Là, je lui ai parlé du bandonéon, qu'elle ne s'attende pas à entendre un bon pianiste, parce que, réellement, je ne l'étais pas. Elle insista: "Ça ne fait rien, Astor, jouez votre tango." Alors, j'ai commencé avec Triunfal. Je crois que je ne suis pas arrivé à la moitié. Nadia m'arrêta, me prit les mains et, avec son doux accent en anglais, me dit: "Astor, cela est beau, j'aime beaucoup, voilà le vrai Piazzolla, ne l'abandonnez jamais." Et ce fut la grande révélation de ma vie. "
Piazzolla avait définitivement choisi le tango. Il étudia de longs mois avec Nadia Boulanger, principalement le contrepoint à quatre parties, "ce qui me rendait fou, j'étais face à un maître qui savait tout. Le contrepoint, c'est quelque chose que j'ai beaucoup utilisé dans ma musique. C'est réussir que quatre ou cinq musiciens jouent une ligne différente et que le résultat final sonne à merveille. J'aurais pu continuer pendant deux cents ans avec Nadia Boulanger, mais sans le talent, cette science du contrepoint ne sert à rien. On peut étudier beaucoup de musique, mais l'intuition est fondamentale. La technique aide, elle enrichit, mais il faut que la matière première lui vienne en aide."
Le 5 janvier 1955, Piazzolla écrivit à José Gobello, lui annonçant une grande nouvelle :
"… Mon activité à Paris est seulement d'étudier, je regrette que mon séjour dans cette ville soit si court, il me faudrait au moins deux ans pour arriver à connaître tout ce dont j'ai besoin. Je dois retourner à Buenos Aires et travailler pour pouvoir retourner un jour dans cette ville si belle et si indispensable. Je vais enregistrer à Paris avec un ensemble dirigé par moi-même, et je tiendrai aussi le bandonéon soliste. Les titres de mes quatre tangos sont Prepárense, Marrón y azul, Imperial et S.V.P., ce dernier composé en collaboration avec un musicien français, Marcel Feijoo. Cet enregistrement se fait le 17 janvier, et l'ensemble est de 8 violons, 2 altos, 2 cellos, harpe, piano, basse et moi-même en soliste. Je vous répète que le tango plaît énormément et, par chance, on aime le bon, puisque les musiciens et le public penchent pour les orchestres de Troilo, Francini-Pontier, Salgán, Basso, Fresedo, Pugliese, ils ignorent le reste."
Ainsi sont nés ces magnifiques hommages à Paris que furent les tangos Chau París, Tzigane tango, S.V.P., Marrón y azul (inspiré par un tableau de Braque), Río Sena, Sens unique, Bando (nom familier du bandonéon en France), Imperial, et le spectaculaire tango titré Picasso.
Tout l'enchantement que Paris peut éveiller chez un inventeur d'émotions se reflète dans ces tangos de Piazzolla où, troquant les strophes du poème pour les notes de la portée, le compositeur évoque, comme peut-être jamais avant lui, les sensations que cette ville dénoue et libère. L'adieu du tango Chau París ressemble à l'arrachement d'un homme qui quitte à regret une atmosphère qui l'avait entraîné jusqu'au tréfonds de son être. Forcé de partir, le musicien abandonne des lambeaux de son corps et de son âme. Bando est fait de nostalgie pure, dans le râle du bandonéon. Avec S.V.P., le bandonéon s'enroule sur les trottoirs et les pavés, s'arrête puis reprend sa balade sans fin.
Le fleuve parisien chante dans Río Sena : courants changeants et couleurs variables, au travers des notes et des contrepoints de Piazzolla.
Avec Sens unique, le musicien argentin donne une touche surréaliste au mouvement ancestral de Paris, qui parfois s'arrête net pour s'interroger sur sa destinée avant de reprendre le voyage. Picasso exprime la magie des formes et des nuances, le chaos qui s'ordonne pour résumer toutes les trajectoires de la création.
Ces compositions parisiennes de Piazzolla, qui coïncidaient avec une rupture profonde de l'histoire argentine, la chute du péronisme (bien que l'auteur d'Adiós Nonino ait été totalement indifférent à la politique), ont marqué une révolution dans le tango. Un pont tendu entre la Guardia Nueva et l'avant-garde. Sous l'influence de Paris, ses odeurs, ses gares, ses bruits, ses recoins, ses légendes, Piazzolla atteignait une haute escale de son inspiration. Dans la musique de Buenos Aires, il y a un "avant" et un "après" Piazzolla, comme il y eut un avant et un après Julio de Caro dans les années vingt. […]
Piazzolla revit Nadia Boulanger au conservatoire de Fontainebleau, vingt ans après leur première rencontre. Le maître était presque aveugle, mais son oreille musicale restait parfaite. Piazzolla s'approcha d'elle, lui prit la main et lui dit : " Hello, mademoiselle Boulanger. " Elle le reconnut à la voix et lui répondit : "Hello, mon cher Astor, je vous félicite, maintenant vous êtes très célèbre."
Paris et sa pédagogue avaient modelé un tanguero nouveau et, cette fois, l'un des plus grands, en lui ouvrant la voie de l'universalité.